Le secrétaire général de l'Union des écrivains et journalistes sahraouis (UPES), Lakhal Malaïnine, n'écarte pas l'idée d'une nouvelle intifada au Sahara occidental. Mais il reste inquiet “quant aux formes que pourraient prendre les actions de résistance à l'avenir”. Liberté : M. Lakhal, nous assistons à une effervescence dans les pays arabes, y compris dans la région du Maghreb. Quel regard portez-vous sur ces événements ? Lakhal Malaïnine : Le mouvement de révolte populaire contre les régimes arabes et l'aspiration au changement sont inévitables face au manque de démocratie et en raison des déficits sur les questions de légitimité politique, de respect des aspirations des peuples et de leur dignité. Cette effervescence, comme vous dites, est légitime, mais il ne faut pas perdre de vue que l'Occident, en général, et des pays comme les USA et la France, en particulier, ont saisi cette opportunité d'ébullition pour tenter d'orienter ces mouvements de changement et ces “révolutions” vers d'autres directions, pour servir les intérêts économiques et stratégiques, et garantir leur sécurité. Les puissances occidentales ont opté pour une nouvelle stratégie depuis la réussite relative de l'expérience occidentale en Afghanistan. Je veux parler du retour à la vieille stratégie de “l'anarchie créative”. Maintenant, il reste à suivre les développements pour savoir si oui ou non les révolutions arabes vont réussir dans leur bras de fer contre les forces contre-révolutionnaires et pro-occidentales. Peut-on parler d'impact du "printemps arabe" sur la lutte du peuple sahraoui ? En principe, tout changement positif dans l'environnement politique des pays de la région, du continent ou du monde arabe, ne peut que servir les causes justes. Pour le moment, les positions produites par les dynamiques sociales maghrébines, à l'exception de la société civile algérienne, sont très réformistes. Je suis choqué par les réactions de soi-disant activistes marocains, qui sont insensibles aux souffrances de leurs frères sahraouis et refusent de reconnaître que ce petit peuple existe. Il faut espérer que les révolutions arabes aideront à éveiller les citoyens et militants maghrébins, pour qu'ils sachent que “notre destinée est de vivre ensemble dans un Maghreb des peuples”, comme l'a si bien dit El-Ouali Mustapha Sayyed, un des principaux fondateurs du Polisario. Vous avez déclaré dernièrement à la revue Témoins que la situation au Sahara occidental est “en danger d'explosion permanent”. Avez-vous changé d'avis ? Je maintiens cet avis, car rien n'a réellement changé pour le peuple sahraoui. Depuis les années 1970, il n'a cessé de se battre contre les mêmes pratiques répressives que les peuples tunisien et égyptien ont vécues, et que les peuples vivent toujours au Yémen, Bahreïn, Syrie, Maroc et en Libye. La seule différence, c'est que toutes les atrocités commises au Sahara occidental l'ont été à huis clos. Elles se poursuivent à ce jour sous le règne d'un roi qui se dit moderne et démocrate. Elles se poursuivent au vu et au su de tout le monde, alors que l'ONU regarde ailleurs, incapable de protéger les Sahraouis à cause des pressions françaises et des complicités européenne et américaine. Mais, au rythme avec lequel les manifestations se développent, il n'est pas à exclure l'émergence d'une nouvelle intifada dans les territoires occupés du Sahara occidental. Je suis même inquiet quant aux formes que pourraient prendre les actions de résistance à l'avenir. La frustration ne fait que grandir, la perte de confiance en la justice internationale poursuit sa courbe ascendante devant le manque de démocratie au sein de l'ONU. Le manque de démocratie au sein de l'ONU justifie-t-il à lui seul le statu quo ? Je suis affirmatif quand je dis que le non règlement de ce conflit est la preuve de l'échec du système international, mais surtout de l'hypocrisie des grandes puissances, qui imposent leurs positions selon leurs intérêts, au détriment du droit international. Le malheur du peuple sahraoui réside dans le fait qu'il s'est trouvé en face des intérêts géostratégiques de la France et des intérêts économiques et expansionnistes de sa protégée, la monarchie alaouite. D'un autre côté, le Polisario est devenu prisonnier de ses engagements internationaux et n'a pas réussi à bien jouer les cartes entre ses mains : droits de l'homme, ressources naturelles, diplomatie populaire, etc. Prenons, par exemple, l'évènement du camp de Gdeim Izik. Pourquoi personne ne parle de ce camp de résistance sahraoui qui, comme l'a dit le philosophe américain Noam Chomsky, a lancé les révolutions arabes ? Nous sommes tous responsables de cette incapacité de toucher l'opinion publique internationale. Mais, il est vrai aussi que les luttes pacifiques nécessitent la contribution de tous les acteurs, pas seulement du peuple en question.