Il est intolérable de surajouter une deuxième injustice aux malades (la non-disponibilité de certains médicaments) à celle de la maladie, car c'est la plus grande des injustices qui puisse exister sur terre. En effet, pour certains patients, et ils sont nombreux, leur survie tient à un “fil”, celui du traitement. Lorsqu'il s'agit de la vie, la responsabilité de tout un chacun, en premier chef les responsables du service public, est énorme. La santé relève des missions de l'Etat. Il est impératif que les autorités sanitaires mettent fin à cette incongruité en procédant à une modification du cadre réglementaire de la distribution du médicament. La proposition principale consiste à donner un statut particulier aux médicaments vitaux tels que les anticancéreux et les antirétroviraux, afin d'assurer leur constante disponibilité sur le territoire national. Prenons l'exemple des antirétroviraux, médicaments essentiels dans le traitement de l'infection VIH/sida. Le danger est réel. En effet, le niveau d'observance (respect strict du schéma de prise des médicaments) exigé dans le traitement antirétroviral anti-VIH (virus de l'immunodéficience humaine) doit être très élevé pour le maintien permanent d'une efficacité optimale de la multithérapie antivirale permettant le contrôle de la charge virale et une restauration immunitaire partielle mais satisfaisante. L'interruption d'un seul des médicaments de la multithérapie expose à une “sélection” de virus mutants résistant aux autres molécules prises, grevant le choix des thérapies utilisables à l'avenir en raison de la conservation de la mémoire (archivage) de ces mutations. De plus, les arrêts de traitements peuvent provoquer des syndromes allergiques et d'hypersensibilité pour certains de ces traitements. Toute interruption de plus de sept jours de la prise de certaines spécialités doit se faire selon un schéma particulier, à savoir une reprise à demi-dose pendant un temps donné pour minimiser ce risque potentiellement grave, voire mortel.Compte tenu de la transformation de ces différents médicaments (“demi-vie” du médicament) antirétroviraux dans l'organisme du malade, la suspension d'une molécule selon un schéma aléatoire expose à un risque accru de mutations du virus. Encore plus grave. La reprise ultérieure du traitement est sans efficacité une fois la mutation apparue. En fait, c'est la permanence du traitement qui conditionnerait son succès. Réapprovisionner un malade “victime” de telles mutations causées par la non-disponibilité du traitement n'est pas une réponse sérieuse. Chez des personnes en échec thérapeutique sévère, le choix dans la palette très restreinte des médicaments disponibles encore efficaces rend ce risque hautement délétère chez ces personnes dont la longue histoire avec la maladie a, de plus, fragilisé l'organisme. Chez elles, les risques d'échappement au traitement et le peu d'alternatives thérapeutiques encore disponibles les exposent à des risques vitaux potentiels. Sous d'autres cieux, les ruptures de médicaments font partie de l'histoire ancienne. À quand la belle étoile brillera au-dessus des têtes de nos patients ? K. S. (*) Immunologie des transplantations, hôpital Edouard-Herriot, Lyon Adjoint chargé des hôpitaux auprès du maire de Lyon