La crise politique dans laquelle est plongé l'Irak depuis le départ le week-end dernier des dernières troupes américaines exacerbe les craintes de marginalisation de la minorité sunnite, qui cherche à avoir plus d'autonomie, estiment les analystes. Ces quatre derniers jours, un mandat d'arrêt a été lancé à l'encontre du vice-président sunnite Tarek Al-Hachémi, le chef du gouvernement a réclamé le limogeage du vice-Premier ministre sunnite, et le bloc parlementaire Iraqiya, soutenu par les sunnites, a décidé de boycotter l'Assemblée et le gouvernement. Iraqiya, le second bloc du Parlement, a dénoncé une “dictature” du Premier ministre Nouri El-Maliki, un chiite. “La classe politique va devoir faire face à un grand défi après le retrait américain, à savoir cette crise politique et le sentiment de marginalisation chez les Arabes sunnites, qui pourrait pousser à plus de demandes de fédéralisme”, estime IhsaneAl-Chammari, professeur de l'université de Bagdad. Au cours des deux derniers mois, trois provinces à majorité sunnite dans le centre et l'ouest de l'Irak ont entamé des démarches en faveur du fédéralisme. “Les Arabes sunnites pensent qu'ils n'auront pas accès à des postes importants au sein du gouvernement central. C'est pourquoi ils cherchent à avoir du pouvoir dans leurs régions. Cela pourrait conduire à une augmentation des tensions politiques et confessionnelles”, prévient-il. Les autorités des provinces de Salaheddine, Anbar et plus récemment Diyala ont toutes pris des mesures pour obtenir une plus grande autonomie, un revirement qui a déclenché la colère du Premier ministre El Maliki. À Diyala, 15 des 29 membres du Conseil provincial ont signé un document dans ce sens début décembre, provoquant un déploiement important de l'armée et de la police à travers la province et des manifestations contre cette signature. Le gouverneur de Diyala, Abdennaser Al-Mahdawi, et plusieurs membres du Conseil provincial ont fui vers la région autonome voisine du Kurdistan. “Les sunnites ont peur, ils entendent sans cesse parler du despotisme du gouvernement central. Malheureusement, le gouvernement leur a donné une certaine justification”, souligne Hamid Fadhel, professeur de sciences politiques à l'université de Bagdad. Les sunnites, qui ont dominé le pays depuis la création de l'Irak moderne en 1920 jusqu'à la chute de Saddam Hussein en 2003, ont largement boycotté les premières législatives depuis l'invasion américaine en 2005. Dans les deux années qui ont suivi, une insurrection violente contre les forces gouvernementales et américaines a fait plusieurs milliers de morts. Elle a été réprimée grâce à l'augmentation des troupes américaines et à l'aide des tribus sunnites qui avaient auparavant soutenu Al-Qaïda. Lors du scrutin de mars 2010, les électeurs des provinces majoritairement sunnites ont permis au bloc Iraqiya d'obtenir la majorité des sièges au Parlement. Mais après neuf mois d'impasse, c'est finalement le Premier ministre en exercice El Maliki qui a réussi à former le nouveau gouvernement grâce à une coalition chiite. Près d'un an plus tard, ce gouvernement d'union nationale risque de s'effondrer, comme l'a souligné le président du Kurdistan irakien, Massoud Barzani. L'aspiration au fédéralisme est un revirement pour les dirigeants sunnites, qui avaient rejeté en 2005 la nouvelle Constitution en raison d'un article permettant aux provinces de s'organiser en région autonome via un référendum. Ils craignaient alors que cela n'ouvre la porte à une désintégration du pays.