Le Forum social européen qui se tient actuellement autour de Paris devrait déboucher, selon ses organisateurs, sur une “plate-forme alter-européenne”. Avec plus de deux cent cinquante séminaires et cinquante plénières, la tâche s'annonce plutôt ardue. C'est que le mouvement altermondialiste tend à se transformer en auberge espagnole des groupements contestataires de l'ordre en cours qui refusent d'assumer un statut politique. Le débat sur sa nature politique est amorcé sans oser contrarier l'identité que lui impose son ancrage originel dans la société civile. On ne peut encore prédire le devenir d'un mouvement qui s'en tient encore, par prudence tactique ou par défaut de vision, à poser plus de problèmes qu'il ne propose de perspectives. Pour l'heure, le rôle de forum lui conviendrait mieux que le caractère de mouvement car, en dépit des manifestations organisées autour des sommets des Etats riches, il constitue avant tout un cadre d'expression de multiple collectifs locaux et régionaux. L'internationalisme tiers-mondiste, l'égalitarisme social et l'écologisme, qui furent à l'origine de la vague anti-mondialiste, cèdent le pas à des revendications plus spécifiques et nécessairement plus hétéroclites. Ce qui donne à ces rassemblements altermondialistes bigarrés l'allure de joyeuses jamborees. L'anti-capitalisme ne constitue plus un consensus et le projet européen de Giscard d'Estaing bénéficie de l'assentiment de bien des organisations présentes à Paris. L'Europe procède d'une “bonne” mondialisation et beaucoup la trouvent plutôt “sociale” dans son projet de Constitution. L'ordre économique, social et écologique peut-il être contesté sans remise en cause de l'ordre politique, comme semble le suggérer “l'apolitisme” de la démarche altermondialiste ? Rien de moins sûr. Sans compter que les rencontres intermondialistes servent de plus en plus d'opportunités de spéculations politiques. Paris s'avère une tribune ouverte aux expressions politiques les plus diverses. Des trotskismes aux intégrismes, il suffit de prétendre à une “autre” vision pour y passer pour “altermondialiste”. Si bien que Tarik Ramadan, pèlerin de l'islamisme en Europe et néanmoins petit-fils de Hassan El-Banna, suspecté, aux Etats Unis et en Espagne, de relation avec Al-Qaïda était l'invité du Forum de Paris. À trop se défendre de la tentation politique, on s'en remet souvent, en fin de compte, aux idéologies capables d'acclimatation tactique. Les fascismes ne se dévoilent en effet que lorsqu'il est trop tard. Au niveau planétaire, l'absence du monde pauvre (si l'on excepte quelques élites de pays émergents comme le Brésil et l'Inde) et de l'Afrique en particulier dispense les militants du développement durable de poser des questions essentielles qui sont à la base des déséquilibres les plus graves qui menacent l'avenir de la planète. Ainsi, la politique agricole européenne qui ne contente pas encore le mouvement paysan du Vieux continent constitue le type même de droits par lesquels les sociétés développées hypothèquent le développement de continents entiers dans le Sud. Il sera difficile de concilier des préoccupations nées de dérives du “développement” et de la pratique de la démocratie, ici, et des problèmes nés du sous-développement et du défaut de démocratie, là-bas. L'espèce de “arouchisme” avec lequel il fonctionne prépare allègrement l'impasse de l'altermondialisme, au moment de passer de cet état de bazar des prédications à celui de mouvement d'action mondial auquel il prétend. M. H.