Le dernier changement a montré, de manière très flagrante, les velléités d'instrumentalisation de l'appareil judiciaire. En procédant en août 2000, quelques mois à peine après son investiture, à un changement dans le corps des magistrats, Abdelaziz Bouteflika avait expliqué sa démarche par la volonté de réhabiliter les hommes de loi dans leur mission, les extraire des influences diverses et les prémunir contre les tentations de corruption. Dans le communiqué de la présidence, publié alors pour annoncer le mouvement, il était notamment écrit que les magistrats jusque-là exerçaient en vertu de “délégation défiant toute logique légale”. Des semaines plus tard, quand il avait mis sur pied la Commission nationale de la réforme de la justice, Bouteflika avait inscrit l'indépendance des magistrats au chapitre des priorités sur lesquelles la nouvelle institution, présidée par Mohand Issad, juriste de renom, devait se pencher. Une année plus tard, le rapport de la réforme tombe. Il préconise une véritable révolution. Cependant, bien qu'il l'ait commandé à grands frais, son initiateur ne se presse pas de le mettre en œuvre. À ce jour, Issad revendique l'application des recommandations qui ont couronné le travail de son équipe. En vain. Après quatre ans de règne, d'aucuns ont compris que l'ambition du Président n'est pas d'asseoir les bases d'une démocratie fière de ses différentes institutions, mais de se servir de ces institutions pour bâtir un pouvoir personnel et sans limite. D'ailleurs, la nature du changement qu'il avait effectué en 2000 renseigne bien sur ses visées. En effet, en dépit de son ampleur — 80% des responsables de tribunaux et 99% des chefs de cour touchés —, ce mouvement avait abouti à de simples permutations. Aucun magistrat véreux n'avait subi la moindre sanction. Pour justifier “cette arnaque”, la présidence avait expliqué que “le corps de la justice, par ses caractéristiques, se prête difficilement à un véritable renouvellement, car ne pouvant légalement recevoir d'apports extérieurs”. En fait, comme dans une partie d'échecs, Bouteflika s'est contenté de déplacer les pions et de positionner les plus importants dans les endroits stratégiques. À cinq mois de l'élection pour le renouvellement de son mandat, cette logique s'est vérifiée avec un second mouvement très controversé. Opéré au début du mois en cours, ce remaniement partiel a conduit au limogeage de 10 présidents de cour et de 11 procureurs généraux. Aussitôt, de nombreuses voix se sont élevées pour dénoncer la démarche présidentielle et l'assimiler au désir de Bouteflika de mettre l'appareil judiciaire au service de sa réélection. Aux yeux du chef de l'Etat, les magistrats ont failli dans la mesure où ils ont — comble de l'ironie — accompli véritablement leur mission en tentant de soustraire leur institution à la bataille pour le contrôle du FLN. En effet, il est reproché aux magistrats démis de leurs fonctions d'avoir contesté l'instrumentalisation de la justice dans cette affaire. D'ailleurs, beaucoup l'ont payé doublement en se voyant exclus de leur organisation syndicale. Le putsch à la tête du Syndicat national des magistrats (SNM), avec l'éviction de son président, Mohamed Ras El-Aïn, est, à ce titre, éloquent. Cette affaire est d'autant plus abominable qu'elle implique la chancellerie qui, au lieu de consacrer l'indépendance des magistrats grâce à la réforme, réduit considérablement leur liberté d'action. S. L.