De tous les pays musulmans qui vont prendre part aux Jeux olympiques de Londres à partir du 27 juillet prochain, l'Algérie accapare l'attention des médias britanniques. Faits de faux procès et jugements de valeur sur la base de stéréotypes douteux, les écrits gratifient notre pays d'une publicité dont il aurait pu se passer. L'Algérie fait parler d'elle. Plus d'un mois avant le début des Jeux olympiques, elle jouit d'une couverture médiatique, d'une consistance un peu singulière. L'attention qu'elle suscite dans la presse britannique serait évidente si elle représentait un participant de choix dont il convient d'épiloguer sur les performances antérieures et à venir. Or tout le monde sait, y compris les journaux londoniens, que l'Algérie a des prétentions très modestes et a brillé rarement dans le passé, sur les podiums. Au fait, personne ou presque ne s'intéresse à ses potentialités athlétiques. Les enjeux de sa participation sont placés à un tout autre niveau, ultra-sportif. Dans ce registre, la politique et la religion, des sujets toujours prompts à soulever la polémique, sont la trame d'histoires fantasques, quelquefois dramatisées de la participation de notre pays aux JO. Il y a une dizaine de jours, le quotidien The Times a tiré prétexte du refus de Nassredinne Baghdadi, un kayakiste algérien, d'affronter un adversaire israélien lors de la Coupe du monde de canoë-kayak à Duisburg en Allemagne en mai dernier, pour anticiper une probable défection de nos athlètes face à leurs homologues de l'Etat hébreu au cours des prochains Jeux de Londres. Il a décelé dans la conduite de Baghdadi le début “d'une des plus grandes controverses" qui risquent de gâcher les olympiades et saborder l'esprit de fair-play qui anime ce genre de compétition. Le journal a conforté ses agiotages en puisant des arguments supplémentaires dans la publication d'une déclaration approximative attribuée au président du Comité olympique algérien, Rachid Hanifi. “Ce n'est pas seulement une décision sportive, c'est une décision politique. Nos athlètes représentent l'ensemble du pays, non pas le seul Comité olympique. J'espère que nous ne rencontrerons pas ce problème", a fait dire The Times à l'officiel algérien qui aurait enfoncé le clou en affirmant que “la question — de l'alignement des sportifs algériens face aux Israéliens (Ndlr) — sera discutée avec le gouvernement" qui prendra une position officielle avant le début des jeux. De tels propos comportent une double infraction de la charte olympique que le quotidien britannique s'est fait un devoir de mettre en exergue. Si les faits sont avérés, non seulement l'Etat algérien est coupable de comportement discriminatoire en interdisant à ses athlètes d'affronter l'équipe israélienne, sur la base de préjugés politiques. Pis, il est accusé d'exercer une tutelle sur son propre comité olympique alors que celui-ci doit être autonome. Et au Times de conclure tranchant, que “même si le gouvernement algérien n'applique pas une politique de boycott, le COA est déjà en violation des règles du Comité international olympique (CIO) qui insistent sur l'indépendance politique des comités nationaux". Deux jours après la publication de l'article et d'un rappel à l'ordre sévère et menaçant du CIO sur les risques d'exclusion des jeux de toute équipe qui enfreint les principes de la charte olympique, M. Hanifi organise une riposte. Il assure que ses dires ont été déformés et s'engage à adresser un démenti au Times. Selon lui, le gouvernement algérien n'a aucunement l'intention de donner des instructions de boycott à ses athlètes et respecte parfaitement la charte olympique. Evidemment, sa mise au point n'a eu aucun écho dans la presse britannique et internationale qui a continué des jours durant à tintinnabuler sur cette affaire, comme si l'Algérie est le premier pays dont des athlètes boycottent des concurrents israéliens. Dans ce domaine, l'Iran est un cas plus illustratif. En de nombreuses occasions et même au cours de compétitions olympiques, comme à Athènes en 2004, ses athlètes ont refusé d'affronter des adversaires israéliens. Récurrente, cette attitude n'a jamais provoqué de sanctions de la part du CIO. Des sportifs d'autres nationalités ont également adopté la même conduite. En mai dernier, au moment où l'affaire Baghdadi a éclaté, un jeune Tunisien de 10 ans, Mohamed Hamida, a refusé d'affronter un compétiteur israélien dans un tournoi mondial de jeux d'échecs organisé en Roumanie. Ne souffrant d'aucune ambigüité, son geste a été vivement salué par le directeur du ministère de la Jeunesse et des Sports de la bande de Gaza, Ahmed Machisan. Ce dernier a exprimé sa gratitude au garçon pour sa “bravoure pendant le tournoi" et a loué la “noblesse manifestée par la Tunisie à l'égard de la cause palestinienne". Des Egyptiens, Marocains, Syriens... figurent aussi sur la liste des sportifs qui ont sacrifié leurs chances de médaille pour des convictions politiques. Alors pourquoi le Times a-t-il choisi de mettre l'Algérie, et aucun des autres pays, dans l'œil du cyclone et de l'exposer à des représailles du CIO ? D'après lui, l'instance olympique serait plus déterminée aujourd'hui à réprimer les comportements antisémites. “Si le Comité international olympique n'a pas pris de sanctions par le passé, c'est parce qu'il n'était pas toujours aisé de déterminer les véritables motivations des athlètes partisans du boycott des compétitions avec des Israéliens", écrit le quotidien. Il estime en revanche que dans le cas de Baghdadi à Duisburg, la raison est claire, même si le kayakiste n'a jamais fait connaître publiquement sa position. En guise de preuve, The Times a cité, sans les nommer des membres de l'équipe de kanoe-kayak, qui ont évoqué des pressions dont l'athlète aurait fait l'objet pour se retirer de la compétition. “Des amis en Algérie lui ont vivement déconseillé de s'aligner face à un compétiteur israélien, pour ne pas déplaire au ministre des Sports, Hachemi Djiar", croit savoir le journal sans plus de précision ou de preuve tangible. En s'employant à confirmer les faits par la voix du président du COA, The Times a laissé éclater un scandale dont notre pays aurait pu se passer. Des voix dans le milieu du sport en Algérie, n'hésitent pas à évoquer une cabale médiatique, alors qu'officiellement, le gouvernement a préféré garder le silence, sans doute, pour infirmer les allégations d'antisémitisme et de tutelle qu'il exercerait sur les organisations sportives nationales. Quelquefois pourtant, les mises au point sont nécessaires pour restaurer la vérité, mais pas seulement. L'image peu glorieuse, parfois caricaturale de l'Algérie dans le regard de la presse et forcément de l'opinion britannique ne rend pas justice aux Algériens. Elle les portraitise sous le trait de fondamentalistes ombrageux et sectaires, qui appartiennent à une société qui a adopté la violence comme outil de débat public. Dans le contexte des olympiades de Londres, cette perception a servi à cataloguer l'Algérie parmi les participants dont il faut ménager les susceptibilités religieuses. Une sitcom de la BBC retraçant les péripéties des jeux illustre un tel état d'esprit. Un épisode du feuilleton met en scène la délégation algérienne qui menace de boycotter le tournoi, en raison d'une mauvaise orientation vers La Mecque du mausolée du village olympique. Dans la réalité, des faits sont mis en avant pour confirmer le zèle de nos sportifs. En mars dernier, les médias britanniques ont fait écho d'une dérogation de la Fédération internationale de beach-volley qui autorise les joueuses de certains pays à troquer la tenue réglementaire, le bikini contre un short et un tee-shirt. Cette décision, a-t-on dit, a été prise à la suite de demandes persistantes de certains pays, dont l'Algérie, où “le choix de la tenue vestimentaire est dicté par des croyances religieuses et culturelles". Nos beach-volleyeuses n'iront pas finalement à Londres. Elles ont raté leur qualification au cours d'un tournoi continental à l'Ile Maurice à la fin du mois de mai. Mais les Anglais auront certainement gardé d'elles l'image de sportives un peu cagotes. Le même qualificatif pourrait être attribué aux athlètes qui persisteront à observer le jeûne du Ramadhan, pendant les jeux. Dans les journaux britanniques, la question fait débat et constitue le principal motif d'évocation des 3 000 athlètes musulmans qui vont prendre part aux Jeux olympiques. Certains médias ont exhumé à cette occasion, une étude réalisée en 2007 par le journal britannique de la médecine du sport (British journal of sport medicin) relative aux effets de l'abstinence alimentaire sur les aptitudes de deux joueurs de football algériens et qui a constaté un déclin de leur vitesse, de leur agilité et de leur endurance. Des athlètes ont même été interviewés pour faire connaître leur position. L'un d'eux est le coureur algérien Nabil Madi. Il a révélé que la décision de ne pas jeûner pendant les jeux est certes difficile à prendre mais elle s'avère incontournable pour ne pas manquer d'énergie et compromettre ses chances de médaille. D'autres sportifs musulmans ont exprimé un avis similaire, concernant les convictions personnelles que les médias ont exploitées pour les transformer en affaire publique, si bien que le principal enjeu des jeux semble relever du dilemme shakespearien : jeûner ou ne pas jeûner ! S. L.-K.