Le 1er Novembre 1954 n'est pas tombé du ciel... Avant d'être le début d'un combat long, tragique et douloureux pour le peuple algérien, il est l'aboutissement de luttes incessantes qui remontent à la fin des années 1920. Ces luttes furent marquées par des brimades, sévices, emprisonnements et tortures exercés par les forces de répression colonialistes, à l'encontre de milliers de militants nationalistes. Il importe de rappeler que la revendication de l'indépendance de l'Algérie a été prônée dès 1926 avec la création au sein de l'émigration parisienne, de l'Etoile nord-africaine (ENA). Celle-ci fut dissoute par le gouvernement français en janvier 1937 et remplacée en mars 1937 par le Parti du peuple algérien (PPA). Ce parti radical s'est répandu à travers toute l'Algérie, et pendant des décennies, il fut le principal porte-drapeau de la lutte pour la libération nationale. Dissous par les autorités françaises dès le mois de septembre 1939, les responsables et militants du PPA ont continué à activer dans la clandestinité, subissant sans arrêt une répression féroce. Pour participer aux élections organisées par l'administration française et faire connaître publiquement ses idées, le PPA créa en 1946, un parti légal : “Le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD)" dont les principaux membres étaient en fait des militants du PPA. Cette option s'est avérée inefficace. Trucage des élections, arrestations de militants, obstructions diverses, le PPA-MTLD s'est vite aperçu que le colonialisme ne voulait rien céder de ses privilèges. Le parti finit par tirer la conclusion que seule la lutte armée mettra fin à l'occupation française. Pour cela, il fallait se préparer, on n'a pas oublié les massacres de mai 1945. Création et structuration de l'OS Lors du congrès tenu à Belcourt (Hamma) en février 1947, le parti décida la création de l'Organisation spéciale paramilitaire, l'OS qui avait pour objectifs la préparation de cadres et militants, en vue de l'insurrection générale, au moment opportun. La mise en place des structures de l'OS s'est réalisée dans le courant des années 1947-1948 ; cadres et militants furent choisis parmi les éléments les plus sûrs et aguerris du PPA-MTLD. Il fallait d'abord se doter d'une direction. Celle-ci était confiée à un état-major national, composé, d'un coordinateur, Mohamed Belouizdad ; d'un responsable militaire, Belhadj Djillali ; d'un responsable politique, Hocine Aït Ahmed, adjoint de Belouizdad ; de responsables départementaux : Ahmed Ben Bella pour l'Oranie-Maroc Mohamed pour l'Algérois- Reguimi Djillali pour Alger-ville et la Mitidja- Aït Ahmed pour la Kabylie et Boudiaf Mohamed pour le Constantinois. M.Belouizdad assurait la liaison avec le Bureau politique du PPA dont il était membre. Cet organigramme a été plusieurs fois modifié. Recrutement des membres de l'OS Les éléments qui ont été versés dans l'OS ont été préalablement sélectionnés parmi les militants du PPA-MTLD qui devaient répondre à des critères rigoureux et satisfaire à des conditions strictes, telles que : conviction, discrétion, courage, stabilité, endurance physique etc... (article 2 du règlement intérieur). Le futur membre de l'OS est d'abord contacté par un militant du Parti de ses connaissances, qui le met en relation avec un inconnu. Il est avisé des impératifs susvisés et soumis ensuite à diverses épreuves. Son adhésion définitive à l'OS est consacrée par une prestation de serment sur le Coran : “Je jure, au nom de Dieu et du Coran que je ne trahirai jamais l'Organisation, comme je jure de ne rien divulguer, ni à mon père, ni à mon frère, ni à une autre personne, quelles que soient les circonstances et les souffrances". Une discipline sévère s'imposait aux membres de l'OS : -Interdiction aux militants de parler de leurs activités, -On n'avait pas le droit de démissionner de l'OS, -On ne pouvait pas s'éloigner de son domicile ou être muté sans l'accord de la hiérarchie. Organisation et fonctionnement de l'OS Territorialement, l'Algérie fut découpée en cinq départements, chaque département ou unité militaire était divisé en zones comportant des régions, puis des localités, coiffant une ou plusieurs actions. La structure de base était le demi-groupe, constitué de 2 militants plus 1 chef = 3 ; deux demi-groupes formaient un groupe, soit 3+3+1 chef de groupe = 7 éléments. Au-dessus, il y avait la section composée de deux groupes coiffés par un chef de section, soit 15 personnes en tout. Ces structures étaient rigoureusement cloisonnées entre elles, chaque demi-groupe menait une activité séparée, sans aucune liaison avec d'autres demi-groupes. Le contrôle des groupes et demi groupes s'effectuait par un chef, sous cagoule. Les militants de l'OS recevaient une double formation : l'une, dite morale et politique, consistant à inculquer au militant, ses devoirs, son rôle, l'esprit de sacrifice, le comportement face à la police etc...; l'autre, est militaire, basée sur le contenu de deux brochures comprenant 24 leçons. Cela allait de la leçon de tir, aux missions individuelles, jusqu'à l'organisation d'une guérilla. Sur le plan pratique, l'Etat-major s'entoura d'un service général comprenant trois sections spécialisées : La section des “Artificiers", créée fin 1948 par Belhadj Djillali assisté de Arab Mohamed dit Mokrane. Elle entraînait les militants au maniement des armes, aux manœuvres sur le terrain, à des exercices d'alerte. Elle a réussi à fabriquer des bombes, des grenades explosives et offensives et recevait des notions sur les techniques de destructions de ponts. La section des “Transmissions", créée par Maroc Mohamed était dirigée par la suite par Asselah Ramdane. Elle comprenait des spécialistes en électricité et en radio-transmission. Un militant, employé à l'AIA de Maison- Blanche, Benamar Mouloud a pu fabriquer un poste émetteur fonctionnant sut batterie. La section “Complicités" ou de “Logistique", sous la direction de Yousfi M'hamed, était chargée de trouver des refuges et lieux d'accueil pour des clandestins et des maquisards. À cet effet, elle prenait des contacts avec des personnes dont on était assuré qu'elles garderaient une discrétion totale. Les activités de l'OS étaient bien encadrées ; à la fin de 1949, on peut dire que l'instruction des militants dont le nombre était estimé, entre 1 000 et 1 500, était achevée. Un peu partout, une certaine impatience se manifestait, des éléments de la base voulaient que l'on passât aux actions pour lesquelles ils étaient préparés. L'attention de la direction du PPA-MTLD fut attirée sur cette fébrilité et sur le danger que courait l'OS dont le secret avait été maintenu jusque-là. Le cloisonnement devenait de plus en plus difficile à préserver et la mobilisation des militants pouvait se relâcher. On n'était pas à l'abri de fuites pouvant survenir à tout moment. En mars 1950, l'incident fatal arriva. Fuite et démantèlement partiel de l'OS L'affaire est partie de la région de Tébessa. Un responsable local de l'OS K.Abdelkader dit Rahim était soupçonné de renseigner la police. Larbi ben M'hidi, chef du Constantinois fut chargé de l'enquête. Un commando de l'OS s'empara de “Rahim". Blessé au visage, ce dernier s'échappa et alla droit au commissariat. Sur ses indications, la police perquisitionna les domiciles de plusieurs militants chez qui elle découvrit des armes de guerre, des munitions, divers documents dont des cartes d'état-major. Cela aboutit à l'arrestation dans le Constantinois, d'une trentaine de militants qui ont été soumis à des interrogatoires musclés et à des tortures systématiques entraînant une répression abominable. Répression-torture et internement Les forces de police se mobilisèrent à travers le territoire national ; près de 400 militants et responsables de l'OS furent arrêtés dont Ben Bella, Belhadj Djillali, Reguimi Djillali, Yousfi M'hamed, Mahsas Ahmed, Driss Driss et l'auteur du présent écrit. Certains dirigeants de l'OS, tels Boudiaf Mohamed, Benboulaïd, Bitat, Didouche Mourad, Krim Belkacem, Ouamrane et de nombreux militants de base ont pu échapper à la police. La vaste opération policière de mars à mai 1950 a touché des dizaines de membres de l'OS qui furent soumis à des violences et tortures atroces : coups d'une brutalité inouïe, électricité, supplice de la baignoire, goulot de bouteille dans l'anus etc... Tous les moyens furent utilisés pour obtenir des aveux. La torture avait fait tellement scandale qu'elle fut dénoncée en France par des personnalités et intellectuels, tels Jean-Paul Sartre et Claude Bourdet, directeur de “L'Observateur". Après l'affreux passage entre les mains de la police, les prévenus ont été incarcérés dans diverses prisons, ceux du centre du pays furent internés à la maison d'arrêt de Blida. Les détenus de l'OS ont été soumis, au départ, au régime du droit commun. Il a fallu se battre : grève de la faim, tapage nocturne, refus d'exécuter les ordres, pour obtenir un traitement moins sévère. À la prison de Blida où je fus moi-même interné, nous étions une soixantaine répartis dans deux salles dont Ben Bella, Belhadj, Reguimi, Yousfi. Pour nous assister, le Parti prit deux avocats du barreau d'Alger, maîtres Bentoumi et Kiouane qui appartenaient au PPA-MTLD ; ils nous ramenaient notamment, des nouvelles et des journaux de l'extérieur. Procès des membres de l'OS Les 56 prévenus de la maison d'arrêt de Blida, ainsi que les détenus des autres prisons, 258 au total étaient accusés : - d'association de malfaiteurs - d'atteinte à la sûreté extérieure de l'Etat (français) - de détention illégale d'armes et de munitions de guerre et d'explosifs. L'instruction a duré plusieurs mois, le procès eut lieu dans le courant du 4e trimestre 1951, soit 18 mois après les arrestations. Ce fut un procès retentissant qui eut des échos à travers toute l'Algérie et en France. Les prévenus furent défendus par des avocats français de renom tels que maîtres Stibbe et Douzon du barreau de Paris. Après plusieurs semaines d'audience, les juges français prononcèrent, à l'encontre des prévenus des condamnations allant de 2 à 7 ans. Les responsables de l'OS qui avaient échappé à la répression furent condamnés par contumace à des peines plus sévères (10 ans). (À suivre) Sources : “Mémoires d'un combattant" de H.Aït Ahmed. Ed.Bouchène Alger 1983 “La préparation du Premier novembre 1954" de M.Boudiaf-Dar El Khalil. Mémoires de l'auteur de ce résumé.