Derrière sa rondeur et sa bonhomie, se cache une redoutable bête politique qui a fait de lui une “constante” du paysage politique national. Natif d'une famille conservatrice de Blida, en 1942, Mahfoud Nahnah a un parcours déterminé par sa formation où le religieux prime sur le profane. Et c'est tout naturellement qu'il se retrouve dans le mouvement des frères musulmans algériens, au moment où l'islamisme amorçait une phase de renaissance, la nahda. Son activisme ne tarde pas à le placer en porte-à-faux avec le régime omnipotent de Boumediène, qui ne tarde pas d'ailleurs à le mettre en prison en 1975, avec en prime, une condamnation de 15 ans pour “activités subversives”. Sa détention ne dure que quatre ans, ayant bénéficié d'une grâce présidentielle après l'arrivée de Chadli Bendjedid au pouvoir, en 1978. Les démons de la subversion islamiste ne tardent pas à se remanifester chez l'homme qui prend le chemin du maquis avec Mustafa Bouyali, dans les monts blidéens. La fin tragique du groupe Bouyali donne à réfléchir à l'ex-instituteur de Blida qui est désormais convaincu que la violence armée n'est pas le moyen sur de promouvoir “l'alternative islamiste”. Profitant de l'ouverture politique, née dans la foulée de “la révolution d'Octobre”, il crée en 1990, son propre parti politique, Hamas, dont il deviendra président à l'issue d'un congrès constitutif. La mise sur pied de son parti est considérée alors, comme un coup de semonce dans le dos de la mouvance islamiste, une mosaïque cristallisée autour du FIS. Nahnah est désormais considéré comme un traître par les tenants de l'islamisme “hard” qui l'ont bombardé à coup de savates dans une mosquée de Médéa. Acte symbolique qui marque la césure irrémédiable entre les deux courants de l'islamisme algérien. Inventeur de la “chouracratia”, lui qui a la coquetterie de la formule à l'emporte-pièce, Nahnah se fait le chantre d'une démarche entriste articulée autour du triptyque “marhalia, ouassatia, moucharaka”, qu'on peut traduire par gradualisme, modération et participation. Ce qui amène le Hamas, tout naturellement, à faire son entrée dans le gouvernement, même au prix d'une présence symbolique dans des portefeuilles techniques. En 1995, Nahnah est candidat à la présidentielle et quatre ans plus tard, il n'est pas admis dans la course, à défaut de pouvoir décliner une carte d'ancien moudjahid, nouvelle condition exigée pour les candidats à la magistrature suprême. En l'absence d'autres alternatives, il décide, après un long suspense, de soutenir la candidature de Abdelaziz Bouteflika. Malade, Mahfoud Nahnah est contraint à des séjours à l'étranger qui l'éloignent de la scène politique, en dépit d'apparitions furtives, histoire de démentir la rumeur qui donnait l'homme pour condamné. Jeudi 20 juin, la nouvelle tombe : Mahfoud Nahnah est décédé à l'âge de 62 ans, dans un hôpital parisien, comble du destin pour un homme qui n'a jamais ménagé ses critiques pour la France. La foule imposante qui a assisté à ses funérailles est un témoignage de reconnaissance pour l'homme qui a compris que la violence est une arme qui se retourne contre ceux qui ont l'illusion de la posséder. Disparu, Nahnah laisse “le participationnisme”, orphelin d'un guide capable de lui indiquer le cap, en ces moments où l'incertitude est la maîtresse des lieux politiques. N. S.