Plus d'un demi-siècle ans après la mort de Patrice Lumumba, son spectre plane toujours sur la capitale du royaume de Belgique . Il hante encore les couloirs de l'imposant Palais de Justice de Bruxelles puisque la Chambre des Mises en accusation vient de considérer que le parquet fédéral était autorisé à ouvrir une enquête judiciaire sur le transfert et l'assassinat de l'ancien Premier ministre congolais au Katanga au mois de janvier 1961. Pour la Chambre des Mises en accusation, à cette époque, le Congo , colonie belge, était confronté à un conflit armé et l'assassinat de Patrice Lumumba pourrait être considéré un « crime de guerre » dans le cadre de la loi sur la compétence universelle. Lumumba a été le premier chef du gouvernement de la jeune république du Congo de juin à septembre 1960.Le 30 juin 1960, le jour de l'Indépendance, le Premier ministre congolais avait prononcé un discours à Bruxelles, en présence du roi Baudouin. « Cette indépendance du Congo (...) c'est par la lutte qu'elle a été conquise, une lutte de tous les jours, une lutte ardente et idéaliste, une lutte dans laquelle nous n'avons ménagé ni nos forces, ni nos privations, ni nos souffrances, ni notre sang. Cette lutte, qui fut de larmes, de feu et de sang, nous en sommes fiers jusqu'au plus profond de nous-mêmes, car ce fut une lutte noble et juste, une lutte indispensable pour mettre fin à l'humiliant esclavage qui nous était imposé de force. « Ce fut notre sort en 80 ans de régime colonialiste; nos blessures sont trop fraîches et trop douloureuses encore pour que nous puissions les chasser de notre mémoire, car nous avons connu le travail harassant exigé en échange de salaires qui ne nous permettaient ni de manger à notre faim, ni de nous vêtir ou nous loger décemment, ni d'élever nos enfants comme des êtres chers. Nous avons connu les ironies, les insultes, les coups que nous devions subir matin, midi et soir, parce que nous étions des Nègres (...) Qui oubliera enfin les fusillades où périrent tant de nos frères, les cachots où furent brutalement jetés ceux qui ne voulaient plus se soumettre au régime d'injustice, d'oppression et d'exploitation ». Ce discours historique dénonçant le colonialisme fut considéré par certains comme un cri de guerre blasphématoire et quelques mois plus tard, Lumumba disparaissait dans la province du Katanga , cette riche région minière du sud-est , contrôlée par l'ancienne puissance coloniale. En novembre 2001 une commission parlementaire belge avait déjà estimé que la Belgique portait une « responsabilité morale » dans l'assassinat de Patrice Lumumba et Louis Michel , ministre des Affaires Etrangères , avait peu après présenté officiellement les excuses de la Belgique au Congo. Pour Louis Michel " Certains membres du gouvernement d'alors et certains acteurs belges de l'époque portent une part irréfutable de responsabilité dans les événements qui ont conduit à la mort de Patrice Lumumba, " et " l'attitude générale de neutralité et d'apathie pour le sort réservé à Patrice Lumumba peut être qualifiée de manquement grave en termes de bonne gestion et de respect de l'Etat de droit. " En juin 2011 , François Lumumba, l'un des fils de Patrice Lumumba , a décidé de déposer une plainte devant les juridictions belges en estimant qu'il fallait « aller plus loin que la reconnaissance d'une responsabilité morale » et « tirer de l'établissement des faits toutes les conclusions, d'ordre pénal et juridique". Mais , pour aller plus loin, il fallait aussi déterminer si la justice belge était compétente. La Chambre des Mises en accusation de Bruxelles vient de trancher : pour elle, l'assassinat de Patrice Lumumba relèverait d'un crime de guerre et une enquête peut donc être menée en Belgique dans le cadre de la loi sur la compétence universelle. La plainte des ayants-droits avec constitution de partie civile met en cause actuellement des policiers, des fonctionnaires et des politiciens. La chambre des Mises en accusation ne cite aucun nom mais l'un d'entre eux pourrait être Jacques Brassinne, diplomate belge au Katanga en 1961 et Etienne Davignon, ancien commissaire européen , qui était à l'époque jeune émissaire du ministre des Affaires s étrangères Pierre Wigny ainsi que Charles Huyghé qui a été chef de Cabinet du ministre de la défense katangais....Ces personnes pourraient dès lors être interrogées dans le cadre de cette affaire, et , éventuellement , inculpées. D'autres ont disparu comme Moïse Tshombé, ancien gouverneur du Katanga, mort en prison à Alger le 29 juin 1969 ou le Président Mobutu, jeune colonel et chef de l'armée congolaise en 1961 qui organisa le transfert de Patrice Lumumba au Katanga. En ouvrant son enquête le parquet fédéral belge pourrait apprécier si le transfert de Patrice Lumumba, détenu à Léopoldville et remis aux autorités katangaises, relève ou non d'un crime de guerre car les opposants de Patrice Lumumba n'ont jamais caché leurs intentions. Ludo De Witte, écrivain flamand a eu accès aux archives. Il a publié un ouvrage aux Editions Karthala un ouvrage sur l'assassinat de Patrice Lumumba et il relate les propos de l'ancien ministre de Moïse Tshombé Albert Kalonji. Celui qui devait intégrer en 1980 le parti unique de Mobutu le MPR avait indiqué qu'il ferait un « vase » du crâne de Lumumba et qu'il l'exposerait sur son bureau.... Les investigations de Ludo De Witte l' avaient aussi conduit à affirmer que des Belges avaient été présents à toutes les étapes de l'assassinat du leader africain et que le ministre belge des Affaires africaines de l'époque, le vicomte d'Aspremont Lynden, avait explicitement souhaité « l'élimination définitive » du Premier ministre déchu. La Chambre des Mises en accusations de Bruxelles vient de répondre positivement aux attentes des plaignants . Il reste maintenant au Parquet fédéral belge autorisé à ouvrir une enquête à franchir une nouvelle étape pour que la Belgique puisse tourner l'une des pages les plus sombres de son histoire coloniale. Vendredi dernier, sur les ondes de Radio Okapi parrainée par les Nations Unies, Roland Lumumba, a demandé à Kinshasa d'appuyer la démarche de sa famille pour qu'un procès s'ouvre en Belgique. "Nous avons matérialisé l'affaire Lumumba en portant plainte, et il y a un début d'aboutissement » a insisté cet autre fils de Patrice Lumumba mais « Ce n'est pas parce que le dossier est ouvert que l'affaire est résolue. Nous aimerions que ça ne soit pas seulement une histoire de famille » car « c'est l'histoire de toute une nation" a ajouté Roland Lumumba, étonné par le fait que les autorités congolaises " n'aient pas initié quoi que ce soit depuis que les Belges avaient (reconnu) leurs responsabilités » . A.M