Le numéro 30 de la revue NAQD vient de paraître, pour s'ajouter à la série de production marquant le cinquantenaire de l'indépendance, des indépendances puisque la revue «s'africanise», en donnant cette fois-ci parole à des penseurs, philosophes, historiens, anthropologues, et intellectuels du vieux continent. Ce numéro de NAQD coïncide avec le grand retour de la colonisation sous son aspect ancien, quand cela est fallacieusement justifié par le fameux interventionnisme, nommé «ingérence humanitaire». A l'heure de la reconquête coloniale, emboitant le pas aux révoltes arabes, NAQD sort une thématique : INdépendances (avec le chevauchement de la première syllabe). Les africains parlent d'Afrique, quoi de plus authentique ? Dans sa présentation, le directeur de la revue NAQD, Daho Djerbal, s'interroge sur le désenchantement qui a gagné les esprits et ouvert la voie au retour à la domination étrangère, au despotisme, et à l'oppression par nos propres gouvernants. «Les souverainetés nationales ou territoriales à peine reconnues ont vite été remises en question». Dans un autre article, «De la sujétion coloniale à l'assujettissement à l'autorité despotique», l'historien retrace les tares des pouvoirs successifs et l'incapacité à vouloir se passer des attitudes héritées de la colonisation. Le pouvoir pris par la force fomente des coups de forces «chaque fois qu'un mouvement de masse populaire est sur le point d'aboutir à une réforme constitutionnelle du régime en place visant à ramener le centre de décision vers les représentants de la société civile, un coup d'Etat militaire (souvent soutenu par une partie de la classe politique) vient mettre un terme provisoire au processus.» Le provisoire a tant duré en usant et abusant de subterfuges. Le cinquantenaire des indépendances africaines est aussi semblable par le dénominateur : la confiscation des libertés, l'isolement et la précarisation des populations pendant qu'une poignée de privilégiés s'accapare les richesses. Une révélation pour les lecteurs de NAQD : des auteurs africains de renom, à l'exemple de l'historien et politique camerounais, Achille M'bembé (présenté par Mohamed Harbi avec «l'inénarrable étiquette de l'expatriation ou le malheur généalogique»), qui démonte les systèmes de gouvernance hérités de la colonisation. Dans un excellent article, il entre en profondeur pour nous faire comprendre l'apport des spécificités sociales émergeant dans les reflexes traditionnels de l'Afrique. Quelque soient les spécificités, l'autoritarisme se maintient et les sociétés s'y adaptent par leurs divergences. De la subversion à l'insécurité en passant par d'interminables humiliations en toute quiétude. «L'Etat africain indépendant s'est transformé en une fabrique de décrets, arrêtés et règlements auxquels très peu de gens accordent encore crédit puisqu'ils sont constamment contournés ou ouvertement foulés aux pieds.» Le sous développement est-il l'œuvre des siècles de domination ou un destin charrié comme un malheur atavique sur le dos des peuples colonisés? «Nous nous tournons vers le passé, écrit Fabien Eboussi Boulaga, afin de déconstruire le présent, de le critiquer. Nous pouvons dire que nous avons une mémoire collective qui nous empêche de répéter l'esclavage. C'est dans cette manière de faire que nous pouvons construire ce que j'appelle une mémoire dangereuse, que nous pouvons sentir le danger qui réside dans l'usage de certains mots et concepts, afin d'évite la répétition compulsive des traumatismes et des destructions passés». Comment éviter de parler d'une Afrique en perpétuel échec, vouée aux famines ? Ne plus jeter la responsabilité exclusive du colonialisme et tenter de relever le défi, malgré les séquelles de ce dernier. On ne se modernise qu'à travers son passé et les valeurs de son groupe ethnique. « De l'esclavage peuvent naître des révoltes », pour Françoise Vergès, des mouvements de masses allant vers le changement positif. «Nous devons agir maintenant. Demain sera peut-être trop tard. L'opportunité sera passée, et avec elle l'espoir de la survie d'une Afrique libre», soutient Kwame Nkrumah. Beaucoup d'autres penseurs universels d'origine africaine, tentent dans des conditions souvent difficiles de lutter contre l'ignominie et la bêtise. On trouve dans le numéro 30 de NAQD d'excellentes réflexions ; au lecteur de découvrir l'héritage du passé... colonial d'une Afrique en perpétuel mouvement. LIMARA B.