Pour ou contre la levée du moratoire contre la peine de mort ? L'interrogation est d'actualité à l'ombre des kidnappings et des meurtres d'innocents enfants, mais la réponse est rendue d'autant plus difficile qu'elle est déformée par le double prisme de la douleur compatissante et du sacro-saint droit de l'Homme. Si le peloton d'exécution est toujours en rigueur dans les textes de loi algériens, son application a été gelée en 1993 après l'exécution des auteurs de l'attentat à la bombe contre l'aéroport d'Alger une année plus tôt, il n'en demeure pas moins que les derniers évènements qui ont ébranlé le microcosme social national ont derechef remis cette question sur la table des débats. Faut-il ou non passer par les armes les condamnés à mort par la justice algérienne ? Les réponses varient selon le degré d'implication de la personne car, si pour nombre de mères et de pères de famille, les kidnappeurs et les assassins d'enfants doivent être exécutés, pour d'autres, la réponse est plus nuancée, enveloppée dans un emballage des droits de l'Homme et du peu de crédit accordé à la justice en elle-même. Pour Fatma Boufenik, universitaire, experte-consultante en genre et en développement et militante active des droits de l'Homme, “ce qui s'est passé à Constantine et ailleurs ne se résoudra pas par la réhabilitation de la peine de mort, mais par une véritable politique dont un axe, une stratégie pour la non violence et la paix". Elle se dit résolument contre la levée du moratoire contre la peine de mort pour “un principe de droits humains". Tout en s'inclinant devant la mémoire de ces enfants “saisis tragiquement à la fleur de l'âge", elle souhaite que la douleur des familles “ne soit pas manipulée pour éviter, encore une fois en Algérie, les débats de fond". Pour Fayçal Anseur, fondateur du journal électronique Algérie Focus, la peine de mort “oui", mais “pour les crimes de haute trahison, impliquant l'intégrité, l'avenir du pays". Quant à Mohamed Yefsah, chercheur à l'université de Lyon 2, il affirme que “la violence dans les sphères publiques et privées explose. Sa compréhension ne doit pas se chercher dans l'individu, mais dans la société elle-même". Jetant un regard sans concession sur la déliquescence des pouvoirs publics, il explique que “réhabiliter la peine de mort pour les crimes, sexuels ou autres, c'est accepter pour le lendemain sa réhabilitation dans la sphère politique en laissant la fenêtre ouverte pour l'arbitraire. La demande de réhabiliter la peine de mort exprime la paresse intellectuelle. Elle est le chemin le plus court pour éviter les véritables questions". D'autres voix expriment leur doute quant à la compétence de l'outil juridique. S. Mohamed, enseignant dans un lycée à Relizane, se dit “totalement contre la peine de mort" remettant en cause “le professionnalisme des investigations policières et de l'appareil judiciaire". Cette crainte se résume dans une seule phrase : “Tu penses bien que si le moratoire est levé, pas mal d'innocents y passeraient !" Même discours chez D. Salah, journaliste et père de quatre enfants : “Comment veux-tu que je sois d'accord avec l'application de la peine de mort, sachant que la justice algérienne est encore en deçà des standards requis en matière d'investigation. Les lacunes dans ce domaine ont déjà été officiellement évoquées il y a quelques années. Est-il besoin de rappeler que même dans les pays les plus développés où cette peine est encore en vigueur, à l'instar de certains Etats aux USA, l'accusé n'est pas abri de l'erreur judiciaire." Son argumentaire s'appuiera sur les expériences vécues où “bon nombre d'accusés définitivement condamnés ont fini par être innocentés grâce à leur famille, proches ou associations qui ont eu recours aux méthodes scientifiques modernes, comme celles de l'analyse ADN. Mais combien furent ceux qui n'ont pas eu cette chance, combien de personnes ont été exécutées alors qu'elles étaient innocentes ?" Son avis est arrêté et se déclare “opposé à l'application de la peine de mort en Algérie en l'état actuel des investigations, dont le niveau est encore faible à mes yeux". Une compétence mise à mal souvent par la nécessité faite aux services de sécurité et aux magistrats “d'activer l'enquête, exigence qui ne permet pas toujours de saisir la nuance entre la célérité et l'empressement dans la diligence de l'instruction". Mais pour beaucoup, la réhabilitation du peloton d'exécution reste la seule arme de dissuasion contre ces criminels d'un autre âge. Nadjet, cadre dans l'administration fiscale et mère de deux enfants, est catégorique. “Oui, la question ne se pose même pas dans ces cas-là en particulier", faisant référence au double meurtre à Constantine. Sabrina, mère de quatre filles, est également de son avis et n'arrive pas à comprendre la grâce présidentielle dont a bénéficié un violeur d'enfant arrêté quelques années plus tôt à Constantine même. S O