Politologues, sociologues et philosophes brésiliens se penchent depuis quelques jours sur un mouvement qui n'a ni leader ni objectif bien défini. Nombre d'hypothèses et de théories fleurissent dans les médias. Les éditoriaux, les chroniques et les analyses complexes se succèdent sans donner d'explication claire sur le phénomène qui a ébranlé le Brésil. À l'étranger, on veut savoir ce qui se cache derrière cette belle carte postale. Pourquoi ce pays si grand, si riche et promis à un bel avenir, se met à tousser à un an de la Coupe du monde ? Certains commentateurs y verront des similitudes avec les troubles en Turquie, en Grèce ou dans les pays arabes. Mais les manifestants qui rejettent cette idée le scanderont ouvertement : « Ce n'est pas la Turquie ! Ce n'est pas la Grèce ! C'est le Brésil sortant de l'inertie ! » Très bien, mais alors qu'est-ce qui a pu provoquer la plus grande révolte populaire de la démocratie brésilienne ? Fiat, répondent les détracteurs. Une campagne publicitaire du constructeur automobile, dont le refrain a été repris par les contestataires, est devenue en l'espace d'une semaine un hymne révolutionnaire. « Vem pra rua, vem pra rua, vem pra rua ! Porque a rua é a maior arquibancada do Brasil » « Viens dans la rue, viens dans la rue ! Parce que la rue est la meilleure tribune du Brésil » José de Abreu, célèbre comédien et critique acerbe des manifestations ironisera sur le paradoxe d'un mouvement qui se dit révolutionnaire : « Des petits c... croient à l'appel de Fiat et font de la rue la meilleure tribune du Brésil, avec un nez de clown et un masque de vengeur... » Si la contestation a démarré avec des revendications limitées à la baisse du prix des transports collectifs, elle évoluera rapidement vers des questions aussi diverses que la corruption, l'inflation, les dépenses publiques, la santé, l'éducation, la Coupe du monde et même l'amendement constitutionnel PEC 37. Cette dernière proposition octroie le pouvoir d'investigation à la police civile et fédérale, cela au détriment du ministère public, seule institution, selon les manifestants, capable de poursuivre les politiciens corrompus. Pour le journaliste et écrivain, Jo Soares, la colère populaire est légitime et trouve sa source dans la faillite d'un système. En réponse au ministre Gilberto Carvalho, qui avait déclaré en sortant d'une réunion avec le gouvernement ne pas comprendre les raisons de la contestation, Jo Soares s'appuiera sur les vingt centimes d'augmentation du prix du ticket de bus à Sao Paulo et Rio de Janeiro. Les raisons de la révolte seront ainsi détaillées centime par centime : 00,01 – Pour la corruption 00,02 – Pour l'impunité 00,03 – Pour la violence urbaine 00,04 – Pour la menace du retour de l'inflation 00,05 – Pour la quantité d'impôts que nous payons sans rien avoir en retour 00,06 – Pour le bas salaire des médecins et des professeurs 00,07 – Pour le salaire élevé des politiciens 00,08 – Pour le manque d'opposition au gouvernement 00,09 – Pour le manque de dignité de nos gouvernants 00,10 – Pour nos écoles et pour le manque d'éducation 00,11 – Pour nos hôpitaux et pour une santé publique 00,12 – Pour nos routes et pour l'inefficacité du transport public 00,13 – Pour la pratique de l'échange de votes contre des charges publiques au centre du pouvoir 00,14 – Pour l'échange de votes des populations moins éclairées contre de petites améliorations publiques (payées avec l'argent public) qui mettent toujours les mêmes noms au pouvoir. 00,15 – Pour les politiciens condamnés toujours en poste 00,16 – Pour les mensaleiros (ce mot fait référence au scandale des pots-de-vin lié au gouvernement Lula de 2005) jugés condamnés et toujours libres 00,17 – Pour les partis qui ressemblent à des gangs 00,18 – Pour le prix des stades de la Coupe du monde, la surfacturation et la mauvaise qualité des travaux publics 00,19 – Pour les médias tendancieux et vendus 00,20 – Pour l'impression de ne pas être représentés par nos gouvernants Si nécessaire, il me reste encore 20 centimes, suffit de demander. Les pancartes aperçues lors des manifestations feront de la Coupe du monde le symbole honni du détournement d'argent public et de l'abus de pouvoir. En 2007, lorsque le Brésil a été choisi pour accueillir la Coupe du monde, le ministre des Sports, Orlando Silva avait affirmé : « Il n'y aura pas un réal fédéral pour les stades ». Promesse non tenue. Sur les 7,03 milliards de réals déboursés pour la construction de nouveaux stades, seulement 612 millions provenaient des entreprises privées. Un argent public qui aurait pu être destiné à la construction d'hôpitaux publics ou d'écoles, selon les contestataires. «Quand ton enfant tombera malade, tu l'emmèneras au stade ! » « Plus de pain, moins de cirque ». Les affiches brandies par de jeunes manifestants à Vitoria, sud-est du Brésil, résumeront avec talent la frustration d'une génération consciente de ses besoins. Si cette jeunesse révoltée a réussi à transformer le Brésil en sept jours, il lui incombe à présent de définir un objectif et de proposer une alternative viable. M.C Lire les anciennes chroniques : - La brique nazie - Il est jeune, beau et riche...très riche - La fabrique de la rumeur - Boycottons la vie chère Nom Adresse email