Les cercles dirigeants algériens semblent hésiter aujourd'hui entre deux lectures concurrentes de la situation financière de notre pays. Même si cette dernière s'est objectivement dégradée avec la confirmation, annoncée fin septembre, de la disparition de ses excédents financiers courants et l'apparition du premier déficit de la balance des paiement depuis près de 15 ans. Pour le gouverneur de la Banque d'Algérie, la "position financière extérieure nette de l'Algérie reste solide", mais la balance des paiements de notre pays est "en état de choc". Mohamed Laksaci a clairement changé de ton entre son "warning" du mois de juin dernier et son commentaire de fin septembre sur la conjoncture au premier semestre 2013. La situation économique qu'il décrit confirme malheureusement la détérioration accélérée des équilibres financiers extérieurs de notre pays. Malgré un prix du pétrole qui est resté élevé – à près de 109 dollars en moyenne au cours des 6 premiers mois de l'année – notre balance des paiements est désormais officiellement déficitaire et les réserves de change ont commencé à diminuer. "Le compte courant de la balance des paiements extérieurs a enregistré un déficit de 1,2 milliard de dollars au premier semestre de l'année en cours, alors qu'il avait enregistré un excédent de 10 milliards de dollars au premier semestre 2012." C'est ce qu'a annoncé Mohamed Laksaci voici quelques semaines. Le scénario que les analyses les plus pessimistes envisageaient seulement pour le milieu de la décennie en cours semble désormais se réaliser sous nos yeux depuis le début de l'année 2013. On est frappé de stupeur par la rapidité et la brutalité avec laquelle se réduit notre excédent commercial sous l'effet à la fois de la baisse des exportations en quantité et en valeur et d'une hausse toujours aussi irrésistible des importations. Stupeur aussi devant une croissance des importations de produits pétroliers qui "a été de 90% au premier semestre 2013", constate M. Laksaci. Ce qui semble laisser les pouvoirs publics sans réaction significative pour le moment. Les déficits plus "traditionnels" de la balance des services et des mouvements de capitaux font le reste. Monsieur le gouverneur fait de la politique Au mois de juin dernier, Mohamed Laksaci avait cherché à prendre date et à délivrer un avertissement à l'occasion d'un rapport de conjoncture trimestrielle préparé dans l'urgence. "L'économie algérienne est face à un choc externe similaire à celui de 2009 qui est aggravé par une baisse substantielle du solde de sa balance des paiements sur fond d'un recul de ses revenus pétroliers." La mise en garde du gouverneur de la Banque d'Algérie était claire. Elle était exprimée dans des termes d'une brutalité inhabituelle : "Cette situation n'est pas soutenable et représente un risque de forte vulnérabilité pour la balance des paiements." C'était au mois de juin, et le climat politique au sein des cercles dirigeants était à la remise en cause des largesses financières des dernières années. à l'occasion de cette rentrée économique et sociale, le contexte politique a changé avec un président de retour aux commandes. Le gouverneur de la Banque d'Algérie ne semble pas insensible au nouveau cours des événements. Même si la situation financière du pays s'est objectivement encore dégradée avec la confirmation de la disparition de nos excédents financiers courants et l'apparition du premier déficit semestriel de la balance des paiements depuis la fin des années 90, M. Laksaci tempère désormais prudemment son propos et préfère retenir que "la position financière extérieure nette de l'Algérie reste solide, d'autant que la dette extérieure était estimée à seulement 3,4 milliards de dollars à fin mars 2013, contre 3,6 milliards de dollars à fin décembre 2012". Clin d'œil appuyé à une politique de désendettement qui reste l'un des principaux acquis de la stratégie financière mise en œuvre par les pouvoirs publics au cours de la décennie écoulée. Vers une diminution des réserves de changes en 2013 La seule bonne nouvelle annoncée par le gouverneur de la Banque d'Algérie est en fait constituée par la reprise des importations de biens d'équipement qui avait chuté fortement en 2012. Une consolation bien modeste. Sur la base des résultats du premier semestre et de ce qu'on sait déjà par ailleurs de nos échanges extérieurs au cours des 8 premiers mois de l'année en cours grâce aux statistiques des douanes, on peut désormais extrapoler sans grand risque d'erreur les performances prévisibles de nos paiements extérieurs en 2013. Des exportations en baisse sensible qui ne devraient pas dépasser 67 ou 68 milliards de dollars. Des importations en forte hausse sans doute proches de 57 à 58 milliards de dollars et un excédent commercial de l'ordre de 10 milliards de dollars réduit de moitié par rapport à 2012. Compte tenu de nos importations de services, "stabilisées" selon M. Laksaci, et de transferts de capitaux élevés réalisés essentiellement par les associés de Sonatrach, les excédents financiers quelquefois considérables réalisés tout au long de la décennie écoulée devraient laisser la place dès cette année à un déficit de la balance des paiements et à une probable, bien que modeste, diminution des réserves de change. Une économie algérienne qui vit au-dessus de ses moyens ? Plus qu'une situation conjoncturelle, les chiffres annoncés par la Banque d'Algérie traduisent et soulignent surtout des tendances inquiétantes. Un expert algérien, cadre au sein d'une institution financière internationale, commente : "Depuis le début de l'année en cours, on est sans doute déjà entré dans un processus de tassement de nos réserves de change qui pourrait précéder leur réduction, voire leur disparition complète dans un horizon à peine supérieur à une décennie." Pour comprendre les enjeux du débat en cours au sein même des cercles dirigeants algériens, il faut rappeler tout d'abord que l'Algérie a encore exporté pour près de 33 milliards de dollars au cours des 6 premiers mois de l'année. Ce qui permet d'espérer selon notre expert "des recettes d'environ 67 à 68 milliards de dollars sur l'ensemble de l'année 2013 compte tenu du redressement actuel des cours pétroliers". Le problème, c'est que même ces niveaux de recettes considérables et ces cours du pétrole élevés ne suffisent plus à satisfaire la boulimie d'importation de l'économie algérienne. En 2012, les réserves de change ont quasiment stagné, parce que nous avons battu des records d'importation avec plus 48 milliards de dollars de marchandises et de 11 milliards de services. En 2013, les réserves ont commencé à baisser parce qu'on est en route vers des importations cumulées de marchandises et de services qui vont approcher pour la première fois le plafond des 70 milliards de dollars. Pour réaliser ces niveaux d'importation, l'Algérie devra donc non seulement utiliser ses revenus annuels mais également commencer à puiser dans les économies qu'elle a réalisées au cours de la décennie écoulée ! Mais c'est un sujet dont nos grands argentiers ne doivent désormais pas trop parler. Au cours du dernier Conseil des ministres, ils ont été invités sans aucune ambiguïté à "préparer les prochaines échéances politiques". H. H Nom Adresse email