J'ai connu Abdelmadjid Tebboune dans les années 1980, alors qu'il était wali de Tiaret. Cette ville organisait la fête du cheval, une belle kermesse haute en couleur. J'ai alors, pour la première fois peut-être en Algérie, interviewé un cheval barbe, dans mon journal de l'époque : Révolution africaine de Zoubir Zemzoum, Abdou B, Ameyar, Rezzoug, Souissi, Saïdani and co. Comment ai-je fait ? Vous pensez bien que je ne vais pas révéler les secrets de ce scoop. Ce que je peux dire : le cheval a été très disert. On pensait que c'était sa fête, erreur, il mit les choses au point sans ruades. Ecoutons-le : "C'est plutôt la fête des hommes qui viennent se goinfrer jusqu'à n'en plus pouvoir. Notre fête ? Tu parles !" Il avait le tutoiement facile, le cheval qui avait déjà la barbe avant les barbus. Je n'irai pas jusqu'à dire qu'il avait une âme de frérot, oh ! que non, il était plus policé. J'ai fait la remarque à Tebboune qui ne prit pas mal les confidences du cheval. Il rit quand un autre aurait peut-être pris la mouche en me faisant ressortir sa qualité de wali tout-puissant à une époque où la presse était aux ordres. Octobre 1988 était encore loin. Je le retrouve en 1991 comme ministre délégué chargé des collectivités locales dans le gouvernement Ghozali. L'Algérie sentait la poudre et l'homme qui me reçut à cette époque, en tant que journaliste, avait gardé son sens de l'humour qui n'est autre que la forme sociale de cette qualité recommandait par les stoïciens : la distance. Cette distance qui est un autre nom de la sagesse, ou du moins l'une de ses composantes les plus importantes. Puis plus rien. Entre temps, le président Bouteflika lui fera appel pour le nommer ministre de la Culture et de la Communication avant d'être ministre de l'Habitat et de l'Urbanisme. Ce n'est qu'en 2004 que j'ai repris langue avec lui pour mettre à profit ses connaissances du milieu politique. Nous n'étions pas loin de l'élection présidentielle et j'avais déjà en tête l'idée d'écrire un essai de communication politique sur les élections. J'allais donc le voir chez lui. Avec le secret espoir qu'il se confie en abondance comme le font beaucoup d'ex-ministres qui pensent panser leurs blessures en fustigeant, off the record évidemment, celui qui les a nommés avant de les dégommer. À notre première rencontre, entre thé et petits fours, je l'assaillais de questions sur le président. Il plissa ses yeux légèrement bridés, dans un sourire mystérieux, qui me fit penser à une statue asiatique. Et allez faire parler une statue ! Comme je ne désespérais pas de le faire parler, je revins à la charge, une seconde fois chez lui. Même gentillesse, même sens de l'humour jusqu'à ce qu'on mette sur le tapis les élections. Et l'homme se transforma, une nouvelle fois, en statue. Cet homme savait garder sa langue, espèce rare en politique. Je ne fus donc pas étonné de le revoir ministre. H. G. [email protected] Nom Adresse email