Un mois à peine après sa réélection à la tête de la magistrature suprême, le Président Abdelaziz Bouteflika réactive le projet de la révision constitutionnelle. Un projet déjà initié, puis mis en attente pendant plus d'une année. Je ne me propose pas ici d'examiner dans le détail l'ensemble des dispositions exposées. Ma prétention est bien plus limitée : elle se bornera à un examen de la démarche visant le rétablissement de la limitation des mandats présidentiels. Les faits sont assez connus pour m'y attarder. La clause portant limitation des mandats présidentiels à deux a été introduite pour la première fois en vertu de la Constitution du 28 novembre 1996. Aux termes de l'alinéa 2 de l'article 74, il est stipulé que : "Le président de la République est rééligible une seule fois". Cette disposition – unique obstacle constitutionnel pouvant empêcher le président alors en poste de se présenter à nouveau pour d'autres mandats - a été modifiée quelques mois seulement avant la fin du second mandat du président actuel. On le sait, l'alinéa 2 de l'article 74 sera ainsi conçu : "Le président de la République est rééligible". Cependant, la mouture initiale du projet de modification constitutionnelle présentée par la présidence de la République propose à nouveau la révision de l'alinéa 2 de l'article 74 et l'adoption de la règle portant limitation des mandats présidentiels. C'est, en d'autres termes, un retour à la version initiale adoptée en vertu de la Constitution de 1996. Cette initiative dépourvue de logique et de cohérence ne manquera certainement pas de susciter diverses interprétations politiques. De ma part, la question qui devrait se poser est assurément celle de savoir quelle serait l'attitude du Conseil constitutionnelle à cet égard si on venait à demander son avis ? La question se pose avec acuité d'autant plus que celui-ci a déjà statué sur le sujet dans un avis émis à l'occasion de la révision constitutionnelle de novembre 2008. Et si le président de la République jugera approprié le recours à la consultation populaire, quelle valeur juridique ou symbolique garderait l'avis du Conseil constitutionnel précédemment exprimé en la matière ? Il est tout à fait difficile de répondre à des questions qui ne devraient jamais être posées. Quelle est la valeur juridique, ou du moins symbolique, d'un avis précédemment exprimé en la matière par le Conseil constitutionnel ? I- Un revirement ? Si le Président de la République souhaite adopter les modifications projetées sans passer par la voie référendaire, le Conseil constitutionnel serait effectivement appelé à rendre un avis motivé sur l'alinéa 2 de l'article 74 et ce, conformément aux dispositions de l'article 176 de la Constitution. En vertu de son avis relatif au projet de révision constitutionnelle de novembre 2008, le Conseil constitutionnel a déclaré que l'amendement de l'aliéna 2 de l'article 74 qui a comme objet la rééligibilité illimitée du président de la République ne portait pas atteinte aux principes généraux régissant la société algérienne. Au contraire, il considéra que l'illimitation du nombre des mandats présidentiel a objectif final "d'assurer à la souveraineté populaire la libre et pleine expression". De plus, poursuit-il : "L'amendement de l'article 74 consolide la règle du libre choix du peuple de ses représentants énoncée à l'article 10 de la Constitution et renforce le fonctionnement normal du système démocratique qui commande que le détenteur d'un mandat présidentiel le remette impérativement à son échéance au peuple à qui il appartient d'apprécier, en toute souveraineté, la façon dont il a été exécuté et de décider librement de lui renouveler ou de lui retirer sa confiance". On relève que le raisonnement du Conseil constitutionnel s'est profondément inspiré de l'interprétation gouvernementale de l'alinéa 2 de l'article 74 en question. En effet, dans son discours du 29 octobre 2008 à l'occasion de l'ouverture de l'année judiciaire, le président de la République estime que l'illimitation des mandats présidentiels vise à "permettre au peuple d'exercer son droit légitime à choisir ses gouvernants et à leur renouveler sa confiance en toute souveraineté... la véritable alternance au pouvoir émane du libre choix du peuple lui-même lorsqu'il est consulté en toute démocratie et en toute transparence au travers d'élections libres et pluralistes...". D'une manière très inaccoutumée, le Conseil constitutionnel a ainsi développé une argumentation centrée principalement sur une confrontation de normes constitutionnelles. En effet, de son avis, la limitation de nombre de mandats présidentiels est contraire à la règle suivant laquelle le peuple - source de tout pouvoir - est pleinement libre de réélire infiniment le président dont le mandat arrive à son terme. Il va sans dire, en procédant de la sorte, le Conseil constitutionnel ne fait que restituer au peuple un droit confisqué par le principe de la limitation des mandats présidentiels à deux. On peut même aller plus loin, suivant a contrario l'esprit des motivations du Conseil, et affirmer que c'est précisément la limitation des mandats présidentiels qui n'est pas conforme aux principes démocratiques étant donné qu'elle contredit manifestement une autre règle de rang constitutionnel d'après laquelle "Le peuple choisit librement ses représentants". Bien évidemment, il est généralement assez répandu que rien n'interdit au Conseil constitutionnel d'opérer des revirements jurisprudentiels. Néanmoins, en bonne logique, un changement d'une position jurisprudentielle doit être impérativement dicté par des changements pertinents de circonstances factuelles ou juridiques. Ceci veut dire que le Conseil constitutionnel est en principe tenu de respecter la chose déjà jugée pour autant que des éléments nouveaux n'entrent pas en ligne de compte justifiant une position différente. Tel est justement le cas en l'espèce. Parce que d'un strict point de vue juridique, aucune nouvelle donnée ne peut fonder une nouvelle position de la part du Conseil constitutionnel. En principe donc, le Conseil constitutionnel ne pourra en aucun cas adopter une position contraire à celle de novembre 2008 en déclarant, en l'espèce, que la règle portant la limitation des mandats présidentiels envisagée ne porte aucunement atteinte à la règle selon laquelle le peuple est souverain dans le choix de ses représentants ! Sauf à vouloir se discréditer davantage. Compte tenu de ce qui précède, une nouvelle position du Conseil constitutionnel sur la question de la limitation des mandats présidentiels relèverait de la contradiction jurisprudentielle et non pas d'un revirement de jurisprudence. Dans ces conditions, il est souhaitable d'emprunter la voie référendaire afin de rétablir la clause de la limitation des mandats présidentiels. En tous cas, le discours du président de la République précité indique clairement que le choix de la voie parlementaire en 2008 était dicté par le caractère partiel, limité... et loin de la profondeur des modifications entreprises. Ce qui pourrait signifier que l'actuel projet de révision sera soumis à l'approbation du peuple. II- Caducité ? Aux termes de l'article 174 de la Constitution, le président de la République peut initier un projet de révision constitutionnelle et le soumettre à l'approbation du peuple une fois voté par les deux chambres du Parlement. Dans ce cadre, l'avis du Conseil constitutionnel n'est donc pas requis. Pour rester fidèle à notre problématique, l'on s'interroge légitimement si la révision du projet par voie référendaire qui amende l'alinéa 2 de l'article 74 ne reviendrait pas à vider de toute sa substance l'avis précédemment formulé par le Conseil constitutionnel ? D'aucuns répliqueront que la volonté exprimée directement par le peuple bénéficie d'une certaine suprématie par rapport à tout autre procédé. Ce qui est de toute évidence entièrement erroné. Car le peuple peut exercer son pouvoir constituant par voie de référendum ou par l'intermédiaire de ses représentants. Il n'existe formellement aucune hiérarchie entre les deux voies. D'ailleurs, l'alinéa 2 de l'article 74 en cause a été adopté par un référendum, sa révision, par contre, est intervenue via le processus parlementaire. Par voie de conséquence, le rétablissement éventuel de la limitation des mandats présidentiels par référendum entraînerait pour dire ainsi une caducité symbolique de l'avis du Conseil constitutionnel en la matière. Ce qui laisse ouverte la question de la portée et de la valeur juridique de la jurisprudence du Conseil. III- Une solution ? En règle générale, l'avis du Conseil constitutionnel en question garderait sa valeur de jurisprudence, et c'est justement là où réside toute la dangerosité de la démarche des pouvoirs publics. Ainsi, si dans l'avenir un autre président de la République serait encore tenté de supprimer la clause limitative des mandats présidentiels par voie parlementaire, le Conseil constitutionnel consulté à cette fin entérinera forcément sa jurisprudence antérieure en la matière. De fait, la porte serait ouverte à l'arbitraire au nom des principes démocratiques et à la banalisation de la norme constitutionnelle à l'aune des ambitions personnelles. Pour ces raisons, il est peut-être souhaitable d'assortir l'article 74 modifié d'un troisième alinéa dont la teneur est la suivante : "Les dispositions précédentes ne peuvent faire l'objet d'aucune modification constitutionnelle." Ce sont là quelques remarques, autant d'interrogations et une modeste proposition sur un aspect unique du projet de la révision constitutionnelle initié par le président de la République. En somme, le Conseil constitutionnel est pris au piège par sa propre jurisprudence, mais les effets juridiques de celle-ci pourraient être encore difficilement contournables. S. L. (*) Docteur en droit I - Loi n° 08-19 du 15 novembre 2008 portant révision constitutionnelle, JORADP, 63, p. 8. II -Avis n° 01/08 A.RC/CC/ du 7 novembre 2008 relatif au projet de loi portant révision constitutionnelle, JORADP, 63, 2008, p. 4. III -Disponible sur le site officiel du Conseil constitutionnel. Nom Adresse email