Ce jeune cadre supérieur vient de quitter la compagnie pétrolière nationale pour une multinationale. Il explique ici les raisons de son départ . A. A., jeune cadre supérieur, cumule dix ans d'expérience à Sonatrach. Il livre ici sa déception. "Après avoir effectué des études supérieures à l'étranger, je suis rentré au pays, avec comme idée de servir mon pays et servir Sonatrach. Malheureusement, après dix années de loyaux services en tant qu'ingénieur, j'ai dû quitter la compagnie nationale, la mort dans l'âme, et ce, pour trois principales raisons. En premier lieu, je dois citer le manque flagrant en matière d'organisation, de management et surtout de prise de décision. Il faut savoir que les opportunités n'attendent pas, et si on n'agit pas au bon timing, il y aura une perte de marché avec comme conséquence directe des pertes qui se chiffrent en milliards de dollars. La deuxième raison est liée au manque et dans certains domaines une absence totale de visibilité et de stratégie à moyen/long terme, la totalité des projets enregistrent des retards importants dans leur réalisation.Enfin, la peur de stagner et de tomber dans une certaine routine compilée au manque de transparence en matière de gestion de carrière n'a fait qu'accentuer mon désir de quitter Sonatrach, car ayant le sentiment que je ne faisais que perdre mon temps, vu l'absence des challenges à l'intérieur de la compagnie et vu le manque de considération des compétences ayant fait leurs preuves." Quant aux raisons de la fuite des compétences, elles sont multiples : "Sonatrach a été fondé par des hommes qui avaient su instaurer une certaine culture d'entreprise, qui fait défaut actuellement, rien n'est fait pour préserver le capital humain de l'entreprise, alors que celle-ci devrait être une préoccupation majeure de la fonction ressource humaine. L'absence de gestion de carrière, la stagnation, une politique salariale archaïque qui ne différencie guère ceux qui travaillent et ceux qui font semblant de travailler, du moment qu'à la fin, ils ont le même salaire, car se trouvant dans la même catégorie, ajouter à cela une communication défaillante, en clair, pas de quoi attirer ceux qui veulent réussir et faire avancer les choses. Les chiffres en ma possession parlent de 1000 experts entre cadres, ingénieurs et techniciens qui auraient quitté Sonatrach entre 2000 et 2013, c'est tout simplement énorme et regrettable à la fois." Retards importants dans les projets Les facteurs d'émulation pour les jeunes talents manquent également : "En comparant Sonatrach avec les multinationales exerçant dans le domaine pétrolier et gazier, on constate rapidement que la compagnie nationale devrait, au plus vite, changer sa politique en matière de ressources humaines, elle devrait adapter son organisation aux normes du management stratégique. La gestion des compétences fait énormément défaut, notamment envers les jeunes, qui constituent l'avenir de la compagnie. Souvent, pour gravir les échelons, on se focalise beaucoup plus sur le nombre d'années passées et non pas sur les compétences, ce qui fait que pour un jeune qui veut réussir sa carrière, c'est trop lent, ceci pousse les jeunes talents à partir et rejoindre les autres compagnies, qui leur offrent un plan de carrière avec en plus des rémunérations attirantes. Dans ce registre, il n'y a qu'à voir ce que gagne le P-DG de Sonatrach par rapport aux chiffres d'affaires réalisés, c'est tout simplement inadmissible. Ainsi, s'il y a absence de plan de carrière et des rémunérations qui ne sont guère attirantes, le choix est vite fait, à savoir quitter la compagnie." Perte de milliards de dollars En ce sens, le coaching efficient fait défaut : "Pour tout vous dire, j'ai rarement vu des managers s'intéresser aux jeunes. Il y a un fossé entre les anciens et les jeunes. A mon avis, ceci mérite d'être exposé et débattu en interne. Il faut savoir aussi qu'il n'y a aucun suivi de ces jeunes, notamment les plus compétents et qui sortent du lot. Ceci vient du fait de l'absence de ce qu'on appelle dans le management, la direction par objectifs (DPO), et dans ce cadre, toute une étude en matière d'organisation, de gestion de carrière et de politique salariale a été menée par un cabinet de renommée, il y a quelques années, et qui se base justement sur la DPO, mais malheureusement, à ce jour, non incorporée. Personnellement, j'ai été choqué et sidéré par l'incompétence de ma hiérarchie, au moment où je travaillais encore pour l'entreprise. C'était dans le cadre d'un mégaprojet, et je voyais de mes propres yeux que les intérêts de Sonatrach n'étaient pas défendus comme il se doit. Pis encore, les pertes, en matière de manque à produire, se chiffraient en milliards de dollars. C'était de l'inconscience. Je me suis battu avec quelques collègues, jour et nuit, à concevoir des stratégies pour faire face et démontrer la manière de défendre les intérêts de Sonatrach d'une manière objective afin de rectifier le tir, mais trop de blocages et surtout aucune confiance envers les jeunes. Résultat des courses : trois de mes collègues et moi avons fini par démissionner, et actuellement chacun de nous est bien intégré dans une multinationales à l'étranger, mais je vous rassure, si les choses changent, tous sont prêts à revenir, car on est tous concernés par l'avenir de l'Algérie, chacun dans son domaine." En conclusion, le jeune cadre suggère des remèdes pour mettre fin à cette politique de ressources humaines désastreuse. "Sonatrach devrait faire de grands efforts en matière de gestion des ressources humaines, elle doit se doter d'un système d'organisation et de gestion répondant aux normes actuelles de management, ceci est encore possible, mais il faut une certaine volonté et surtout accepter le changement. Autrement, cette hémorragie de compétences risque de freiner le développement de Sonatrach, notamment dans les domaines de l'exploration et de l'exploitation. Ainsi, il faudrait concevoir à nouveau toutes les évolutions, à la fois fonctionnelles, organisationnelles et managériales, en termes de carrière et de rémunération, pour permettre aux cadres de l'entreprise de continuer à croire en Sonatrach, qui constitue le poumon de l'économie algérienne."