Fait inédit dans l'histoire contemporaine de notre jeune république, les corps de sécurité, sensés tenus à l'obligation de réserve que leur impose leur mission, ont déchiré le voile du silence pour crier haut et fort leur mécontentement. Retraités, cheminots, travailleurs des collectivités locales, de l'éducation nationale, médecins, avocats, magistrats, jeunes chômeurs, corps constitués... s'indignent et manifestent leur colère face à la précarité de leur situation socioprofessionnelle, à l'érosion de leur pouvoir d'achat et au non accès à l'emploi. Marquée par la désillusion et la crainte du lendemain en situation de crise systémique, la majorité des Algériens revendiquent leur part de la rente pétrolière et condamnent le mode de gestion de la répartition des richesses et la dilapidation des deniers publics. Au cœur de cette contestation, les revendications salariales occupent la première place. En vérité, la question salariale en Algérie s'affirme et se pose aujourd'hui comme une préoccupation majeure. Les pouvoirs public algériens, coincés entre une croissance économique qui peine à s'installer et une pression sociale liée essentiellement à l'érosion du pouvoir d'achat, agissent par à-coups en tentant de gérer des situations de crises devenues endémiques. L'amplification des contestations sociales depuis notamment janvier 2011 -début du déclenchement du printemps arabe-, les promesses de réformes annoncées par le président de la République et les résultats des différentes tripartites ont déçu de larges couches de travailleurs, de retraités ainsi que d'autres catégories socioprofessionnelles. Ces désenchantements mettent à nu les fissures du tissu social. Au demeurant, les incohérences de la politique salariale menée par les pouvoirs publics avaient déjà, dans un passé récent, fait l'objet de critiques par le Cnes (Conseil national économique et social), qui avait estimé que les différentes revalorisations ont été effectuées "d'une manière cyclique et sans rapport direct avec la productivité du travail et l'inflation", ce Parlement social avait suggéré dans le même temps "d'aborder la question plus globale des revenus salariaux et des critères qui contribuent à leur détermination et à leur augmentation". L'incapacité de l'Etat à réguler le marché local des biens de large consommation, fortement dépendant des fluctuations des marchés internationaux et de l'emprise de la spéculation, en plus de la faible productivité de l'outil de production national (laminé par les néo-libéraux), rendent la situation plus complexe. A ces paramètres vient se greffer une poussée inflationniste qui repart à la hausse. La combinaison de l'ensemble de ces facteurs s'est traduite par une amplification de la précarité sociale et la paupérisation de plus en plus grande des couches moyennes, menaçant dangereusement la stabilité et la cohésion sociale, de la corruption qui prend de plus en plus d'ampleur dans une "impunité inexplicable". La poursuite des mouvements de revendications sociales est la parfaite illustration de cette cassure entre la société et le pouvoir politique. Le manque de concertation et de dialogue, notamment avec les syndicats autonomes, de plus en plus mobilisateurs et crédibles, tout particulièrement auprès des catégories sociales les plus "conscientes"- enseignants, médecins, avocats, fonctionnaires, chômeurs universitaires-, alimente les tensions et potentialisent les mécontentements. Cette évolution de la situation économique et sociale, porteuse de tous les risques, a été atténuée par des revalorisations des salaires des couches les plus vulnérables. Ainsi, durant les cinq dernières années, les salaires de la majorité des Algériens ont été revus à la hausse par l'Exécutif dans le cadres des tripartites. Ces revalorisations ont concerné plus d'un million d'Algériens. Ainsi, le SNMG a été revu à la hausse, passant de 12 000 à 15 000 dinars et tout récemment à 18 000 dinars. Par ailleurs, la révision du régime indemnitaire de la fonction publique a mobilisé 140 milliards de dinars. La masse salariale, quant à elle, se chiffre actuellement à environ 1500 milliards de dinars, selon Karim Djoudi, ancien ministre des Finances. De tels efforts, il faut tout de même le dire, ne peuvent porter leurs fruits qu'en jugulant l'inflation par des mesures de régulation du marché des biens de large consommation d'une part, et d'autre part en consolidant et en élargissant les instruments incitatifs en faveur des secteurs productifs privés et publics, notamment les PME et PMI, pour développer de nouvelles niches de productivité et booster la croissance hors hydrocarbures. Ce sont aussi les dernières conclusions de la mission du FMI dans notre pays qui estime que le PIP (Programme d'investissement public) ne peut plus jouer un rôle dynamique, et recommande que le secteur privé doit prendre le relais pour "créer de l'emploi et favoriser la diversification de l'économie hors hydrocarbures". Personne ne disconvient avec ces recommandations, sauf qu'il faut avoir à l'esprit que l'Etat, y compris dans le systeme libéral, outre ses missions régaliennes de régulation, intervient de plus en plus comme agent économique actif, parce que la "main invisible du marché" se révèle impuissante face à la montée des mouvements sociaux revendicatifs, notamment dans des situations de crise structurelle. A. H.