Les militants intégristes se remobilisent autour des mosquées, à l'intérieur des cités et des campus. Alerte. “Je gère un volcan.” Le directeur de la cité universitaire Amar-Bouraoui d'El-Harrach (Alger) était dépité, vendredi, au lendemain des graves incidents survenus à l'intérieur de son établissement. Il était dépité parce que, selon ses propres dires, aucun instrument juridique ne l'autorise à prendre de sévères sanctions à l'encontre des étudiants islamistes qui avaient blessé sept de leurs camarades. Sortis droit de la mosquée, ces militants ont donné la preuve la plus éclatante de leur intolérance en tentant, par la violence, d'empêcher la soirée artistique organisée par l'association culturelle Tahar-Djaout. Ils sont sortis de la mosquée après avoir accompli la prière des tarawih (qui, comme prescrit dans le Livre Saint qu'ils venaient de réciter, devait les rendre encore plus tolérants envers les autres). Le recueillement a dû provoquer chez eux l'effet contraire. L'incident de Bouraoui révèle en fait un retour ouvertement prononcé et assumé de l'islamisme à l'intérieur de nos centres de rayonnement ; des centres dont l'Algérie de demain est appelée à en assumer la récolte. “Je gère un volcan”, ne cessait de répéter le directeur de cette cité universitaire réputée pour ses travers intégristes. L'irruption de jeudi soir a été sans conséquences néfastes, mais elle peut en annoncer d'autres. En 1996, une opération des services de sécurité avait permis de récupérer, à l'intérieur du lieu de culte de la cité, du matériel destiné à la lutte terroriste. Qui sait si aujourd'hui encore, des relais n'y sont pas implantés ? L'impunité dont jouissent les militants islamistes les autorise à s'ériger en gardiens de la morale et de la conscience en milieu estudiantin. Cela était le cas avec les membres de l'association Tahar-Djaout : quelques minutes après avoir pris connaissance de l'organisation de la soirée musicale (chant et poésie), des membres du comité de gestion de la mosquée se sont rendus dans le bureau du directeur, M. Bouhara, pour en exiger l'annulation. Courageux, ce dernier leur a signifié un niet catégorique. Selon des témoignages, ces militants ont été bien remontés par leur imam avant de venir “châtier” les “égarés”. Depuis quelques années, Bouraoui a ouvert ses portes aux étudiants de la charia, la loi islamique, du proche institut du Caroubier. Elle n'accueillait auparavant que des étudiants des filières techniques. Des filières tellement chargées que les étudiants y consacraient le gros de leur temps. Ceux des sciences islamiques, comme ceux des sciences humaines, ont le temps d'occuper le terrain militant. Depuis quelques années donc, le phénomène intégriste a pris racine pour s'endurcir aujourd'hui. À tel point que l'administration de la cité, jusqu'à il y a quelques mois, n'exerçait aucune forme de contrôle sur ses activités. La mosquée était exclusivement gérée par un comité. La vie religieuse est dominée, selon d'autres témoignages, par deux courants principaux : les djaz'aristes, d'une part, et les salafistes, de l'autre. L'une de ces deux parties a récemment adressé une pétition — signée par un millier de ses adeptes — à M. Bouhara, revendiquant le droit de gérer la mosquée. Durant ce mois de ramadhan, les antagonistes se sont accrochés à deux reprises pour une histoire de leadership. Le vainqueur de la confrontation est bien sûr l'islamisme ! Dans la quasi-totalité des cités universitaires, les islamistes ont le parfait contrôle de la situation. Leur culture violente a semé la terreur parmi leurs concurrents, notamment ceux du camp démocratique, mal desservis par la conjoncture. Après notre reportage à Bouraoui, une organisation estudiantine a cru bon de démentir son implication dans les incidents de jeudi soir. Il est tout à fait établi que les islamistes n'agissent jamais au nom de leurs structures. Ils activent individuellement, au nom de leurs convictions et de leurs croyances. Et c'est bien là le plus dangereux. L'intégrisme algérien s'est forgé grâce aux activistes universitaires. Bouraoui est, en la circonstance, un exemple type de ce renouveau islamiste que l'Etat semble ne plus contrôler. L. B.