La nouvelle devrait faire frémir de jalousie les responsables de notre unique télévision. Près de 15 millions d'Algériens sont branchés quotidiennement, nuit et jour, aux chaînes de télévision françaises. Plus prosaïquement, c'est presque la moitié de la population de l'Algérie qui a les yeux rivés sur TF1, France 2, Canal + et autres M6, Eurosport chaque jour que Dieu fait. Et, inversement, c'est autant de personnes qui boudent allègrement l'ENTV nationale pour diverses raisons, pour aller se réfugier, voire se régaler dans le zapping que leur offre cette assiette magique qu'est la parabole. Ces chiffres ahurissants mais très plausibles ont été rendus publics hier par Hassen Zargouni, le président du bureau d'étude spécialisé Sigma conseil. L'étude, que cet expert a effectuée, montre que vingt et un million de Maghrébins sont accros des chaînes françaises de télévision dont 14,8 millions d'Algériens, soit un taux de pénétration de 29%. Sans surprise, la palme revient aux téléspectateurs algériens, particulièrement friands des programmes diffusés par les télés hexagonales puisque 46% de l'ensemble de la population zappent entre les chaînes françaises et mettent un écran de fumée pour les programmes du 21 boulevard de la Télévision nationale. Un taux de pénétration qualifié par l'auteur de l'étude de “particulièrement élevé” en Algérie qui arrive loin devant la Tunisie où il a été enregistré un taux de suivi des télés françaises de 17%. La raison tient au fait que les téléspectateurs tunisiens préfèrent orienter leurs antennes paraboliques vers l'Orient via les satellites Arabsat et Nilesat pour capter les chaînes arabes, note encore M. Hassen Zargouni. Curieusement le Maroc, vient au bas de la liste puisque seulement 10% de la population sont tentés par les programmes des chaînes françaises qu'ils reçoivent grâce au satellite Hotbird. L'étude souligne également que le choix des chaînes par les téléspectateurs maghrébins varie selon le pays. Si les Algériens et les Tunisiens sont spécialement des férus de TF1, au Maroc c'est plutôt TV5 qui est plus prisée. Il ressort, par ailleurs, que les Maghrébins passent moins de temps à regarder la télévision, comparés aux Européens. Là aussi les Algériens enlèvent haut la main la première place du hit-parade à leurs voisins pour le temps passé devant la télévision. En effet, les téléspectateurs nationaux “tuent” la moitié de leur temps de télé, à regarder “les françaises” pendant que les Tunisiens y consacrent 12% de leur temps et les Marocains 10%. Il apparaît donc clairement que les Algériens sont particulièrement des amateurs du petit écran et spécialement des écrans de TF1, France 2, M6, TV5, malgré la rude concurrence des chaînes arabes aussi puissantes qu'Al Jazeera et Al Araâbia pour ne citer que celles-là. Mais, impressionnants que peuvent paraître a priori ces chiffres, ils n'en sont pas moins crédibles quand on sait la propension de larges secteurs de la population algérienne à fuir “l'unique” dont la platitude des programmes n'a d'égal que son infini entêtement à rester fidèle à sa mission : une boîte de propagande. Elle continue contre vents et marées à faire sienne la devise qui lui colle à la peau : la télé du pouvoir et au service du pouvoir. C'est pourquoi, ces chiffres qui incitent, théoriquement à l'alarmisme, ne semblent pas en mesure d'inquiéter du côté du 21 boulevard où l'on tente de faire croire que notre télé change… dans la continuité. Faut-il s'attendre à une remise en cause de la politique suivie par l'ENTV, quand son DG fait valoir à chaque fois le fallacieux prétexte des cahiers de charges — du reste copiés sur celui de France télévision ? Il est clair que l'unique n'est pas prête à supporter la concurrence des chaînes françaises et mêmes arabes aussi longtemps qu'elle demeurera justement l'unique. L'ouverture tant souhaitée de l'audiovisuel à l'initiative privée n'étant pas inscrite dans l'agenda “démocratique” de Abdelaziz Bouteflika qui a plutôt exclu catégoriquement cette option, il faut donc s'attendre à une montée en flèche du nombre d'Algériens qui vont encore fuir l'ENTV pour aller noyer leur chagrin dans des programmes qui leur donnent au moins l'envie de pointer devant le petit écran. Quitte à ce que cela coûte une petite fortune pour payer les démodulateurs et recharger les cartes. Mais, ils sont convaincus d'une chose : l'ENTV, elle, ne changera pas la carte de ses programmes. Du moins pas avant longtemps. H. M.