Quel regard portent les partis de la mouvance démocratique, ceux à qui on a toujours collé l'étiquette d'“éradicateurs”, sur la réconciliation version Bouteflika ? Eux qui s'étaient farouchement et frontalement opposés à la réconciliation quand elle était portée à bras-le-corps par les partisans du contrat de Rome, font-ils montre de plus de réceptivité à la conception bouteflikienne de la réconciliation ? Que non. Pour les représentants des partis de la mouvance démocratique, ce concept est frappé d'une confusion suspecte. Le RCD l'a qualifié de “véritable serpent de mer”. C'était le 12 mai dernier, à l'occasion d'une session ordinaire de son comité exécutif. S'indignant qu'elle soit “agitée avec autant de frénésie que de démagogie” et regrettant qu'“une fois de plus, le flou et la manipulation médiatique escamotent l'un des sujets les plus sensibles de notre histoire immédiate”, la direction du parti de Saïd Sadi a fait part de son regret que “ni les cadres de son élaboration, ni les acteurs qu'elle implique, ni les objectifs qu'elle vise ne sont avoués”. Aux yeux du RCD, des drames comme ceux vécus par l'Algérie ne peuvent être dépassés que par “le courage et la vérité”. Pour son premier vice-président, Djamel Fardjellah, la réconciliation nationale est “une formule générique et généreuse”. “Elle est généreuse sur le plan formel. Mais sur le plan politique, le peuple algérien ne sait pas à ce jour ce qu'il y a à l'intérieur. Il ne sait pas ce que le pouvoir entend faire de ce concept. Vise-t-on à pardonner à tous les terroristes ? Si c'est cela la réconciliation, on a toutes les raisons de craindre le pire. Si on veut l'apaisement, malheureusement on n'y est pas, surtout avec l'actionnement de la justice et le harcèlement contre la presse indépendante, les cadres syndicaux et les militants politiques. Donc on ne sait rien de la réconciliation nationale si ce n'est absoudre les terroristes de leurs crimes abjects. Auquel cas, le RCD exprime toutes ses réserves”, explique-t-il. Le Mouvement démocratique et social (MDS) de El-Hachemi Chérif n'en pense pas moins. Pour Yacine Teguia, chargé de la communication au sein de ce parti, le concept de réconciliation est insaisissable. “On ne la connaît pas. C'est la confusion la plus totale dans son contenu. Bouteflika ne l'a pas formalisée”. Au regard de ce que le président de la République a fait lors de son premier mandat, il soupçonne que cette réconciliation ne serve qu'à “la réhabilitation de l'islamisme”. “Y compris son aile la plus radicale pour laquelle il n'a pas cessé de tendre la main”, précise-t-il. Au regard de la dernière sortie publique du Chef du gouvernement, Ahmed Ouyahia, M. Teguia s'est demandé si c'est Bouteflika qui est gagné aux positions “éradicatrices” d'Ouyahia ou si c'est le contraire qui s'est produit. Il se pose la question sur l'”unité du pouvoir”. Tout en relevant les contradictions de Bouteflika dans les discours, il parle d'éradication du terrorisme, il lui “reconnaît” une certaine “conséquence” dans la pratique, en agissant toujours dans le même sens, celui de “la réhabilitation de l'islamisme”. Ceci dit, il estime que la confusion du concept a pour finalité la “tétanisation et la culpabilisation de la société”. “Face à un discours ambigu, elle (la société) est inhibée. Elle ne peut pas se mobiliser”, explique-t-il. Sans s'y opposer frontalement, Rédha Malek, président de l'Alliance nationale républicaine, n'observe pas moins une certaine circonspection à son égard. L'auteur de la célèbre phrase “la peur doit changer de camp”, lancée au plus fort du terrorisme islamiste quand il était Chef du gouvernement, estime que “le problème ne se réduit pas à la simple rhétorique mais à un cas concret”. Sa position à lui est que “la lutte contre le terrorisme est absolument nécessaire et doit se poursuivre”. “Si la réconciliation nationale signifie l'impunité pour ceux qui, non seulement, ont commis des crimes mais aussi menacé l'Etat et la République, cela est inacceptable pour nous”. Ce serait “créer un mauvais précèdent”. Il estime que ceux qui se sont versés dans le terrorisme et ont décidé de rendre les armes “doivent être jugés”. Bien plus, “il ne faut pas les laisser comme ça dans la nature. Il faut les prendre en charge sur les plans psychologique et pédagogique en leur faisant entendre que l'Etat républicain ce n'est pas verser dans la violence et l'obscurantisme”. A. C.