Que dire encore et qui ne répéterait pas cette extraordinaire (mais on peut toujours faire plus !) mobilisation pour la libération de Benchicou et des journalistes arbitrairement détenus ? Dans ce pays où les hommes poussés par de médiocres intérêts ou vaincus par la désespérance, la peur ou l'indifférence se sont habitués à tout, il est heureux que des voix se soient élevées — quelles que soient par ailleurs leurs opinions et idées — simplement pour dénoncer un faux procès, un paravent de justice, une parodie mensongère. Grâce à l'action multiforme entreprise en Algérie et dans le monde par les divers comités de soutien, des milliers de pétitionnaires, des articles de presse, des conférences et meetings, des organisations ou des associations nationales ou internationales, des lecteurs et des internautes, plus personne n'ignore que Benchicou est “engeôlé” depuis le 14 juin à El-Harrach pour un magistère moral : la fidélité à ses idées et son talent de journaliste. Qu'on les partage ou pas, il est inacceptable qu'un pouvoir utilise le subterfuge et instrumentalise la justice pour assouvir la vengeance ou la haine de ceux qui nous gouvernent. Tous ceux qui ont participé ou assisté à l'audience du 14 juin savent que ce fut un simulacre, une mascarade, de procès. Y compris — je le crois — la procureur qui mena la charge et la présidente qui le condamna à deux années d'enfermement. Aussi est-il souhaitable qu'il en soit autrement lors du procès en appel. Le 11 août, Mohamed Benchicou, cette fois-ci menotté sans doute, sera de nouveau devant des juges. Répétera-t-on de nouveau cette tragi-comédie qui a consisté à instruire “l'affaire de Mohamed Boualem poursuivi pour détention de bons de caisse ?” Une audience imaginaire pour un délit fictif alors qu'il s'agissait d'incarcérer un stylo ! Il est à espérer qu'on n'ajoute pas au ridicule, l'aveuglement et la bêtise. Il est à craindre en effet que la date du 11 août — sans doute “nécessitée” par les délais légaux de la procédure — ne soit l'occasion pour inaugurer une justice d'été comme on nous a malheureusement habitués à une justice de nuit. La période caniculaire a toujours été utilisée, ici comme ailleurs, pour faire passer dans le calendrier politique les décisions impopulaires ou les coups fourrés. Ce serait encore là un mauvais calcul car on n'enferme pas indéfiniment la liberté. L'extraordinaire harcèlement dont fait l'objet Le Matin prouve à lui seul — s'il en était encore besoin — que c'est son directeur qui est poursuivi par la vindicte vengeresse et la haine. Mais ce procès risque de faire métastase sur toute la presse algérienne qui refuserait de céder aux sirènes, à la répression ou à la corruption. Car n'eut été le fait que Benchicou incarcéré doit retrouver au plus tôt sa liberté — fut-elle judiciairement provisoire — le véritable enjeu du procès du 11 août est celui, en une phrase simple, du droit à l'expression pluraliste et à la liberté de la presse. Pour le reste, un simple rappel de mémoire à ceux pour qui l'occulte a pris le pas sur le droit : déjà en 1992 Le Matin avait subi une longue suspension et un journal titrait le 3 septembre :“C'est définitif. Le Matin a licencié ses journalistes et s'apprête à se mettre en faillite”. Le quotidien matinal de référence reprit bientôt, titrant : “Les gouvernements passent et les journalistes restent. À bientôt Le Matin”. Combien de présidents, de ministres et de généraux sont passés depuis ? À méditer. N. S. Chroniqueur - Le Matin