Antoine Basbous est fondateur et directeur de l'Observatoire des pays arabes, à Paris. Son dernier ouvrage, paru en septembre 2004 aux éditions Perrin collection Tempus, a pour titre L'Arabie saoudite en guerre. Il est aussi l'auteur de deux autres livres : L'islamisme, une révolution avortée ?, éditions Hachette, mars 2000, et L'Arabie saoudite en question, éditions Perrin, septembre 2002. Liberté : Avec la disparition de Yasser Arafat, ne craignez-vous pas des débordements chez les Palestiniens ? Antoine Basbous : La disparition d'Arafat pourrait être aussi l'occasion d'un véritable sursaut. Les Palestiniens dépasseraient alors leurs divisions qui se sont aggravées ces derniers mois, notamment entre les différents services de sécurité à Gaza et au sein du Fatah. Le problème que rencontrent les Palestiniens est dû au fait qu'Arafat ait confisqué tous les pouvoirs pendant plus de quarante ans, en tenant entre ses mains les trois sources du pouvoir : la représentation internationale, les finances et la sécurité. Il a toujours refusé de déléguer, à tel point qu'il est parti se faire soigner en France sans nommer un intérimaire ! L'héritage d'Arafat est lourd et il peut conduire à des tiraillements, surtout si Israël ou des Etats arabes venaient à s'ingérer et à envenimer les divisions. Depuis quelques jours, on ne cesse d'avancer des noms pour le remplacement de Yasser Arafat à la tête de l'Autorité palestinienne. Pensez-vous que la succession se fera vraiment en douce ? On peut le souhaiter, malgré les difficultés du moment. D'ailleurs, le Premier ministre est en train de prendre en charge une partie des responsabilités d'Arafat au sein de l'Autorité palestinienne et Abou Mazen a relevé le raïs au niveau de l'OLP. Le président du Parlement palestinien, Rouhi Fattouh, n'a pas encore eu de rôle à jouer, malgré l'absence irréversible d'Arafat. Pourtant, c'est à lui que revient l'intérim pendant deux mois afin d'organiser l'élection du futur président au suffrage universel. La sécurité n'est pas encore prise en charge réellement par une autorité centrale reconnue et crédible. Le Fatah fera sans doute l'objet de quelques tiraillements, étant donné que son bras armé (Chouhada'a Al-Aqsa) désobéit à la direction politique. Il faut que les Palestiniens fassent preuve d'une maturité politique. Selon vous, quelle est la personnalité palestinienne la mieux placée pour succéder à Arafat ? Il y a plusieurs candidats issus de cercles différents : les sécuritaires qui dirigent la dizaine de services de police, les “septuagénaires” arrivés de Tunis avec Arafat en 1994 et les “quadras” nés en Palestine et qui ont connu la prison israélienne — d'où leur légitimité — et qui maîtrisent l'hébreu. En tout cas, la succession d'Arafat sera forcément répartie entre plusieurs personnalités, ne serait-ce que dans un premier temps. Pour certains, la mort de Yasser Arafat mettra les Israéliens au pied du mur, puisqu'ils l'ont toujours rendu “responsable” des blocages du processus de paix au Proche-Orient. Partagez-vous cette analyse ? La disparition d'Arafat enlèvera un solide alibi à Ariel Sharon et à George Bush. À condition que son successeur soit légitime, “présentable” et crédible. La mise à l'index d'Arafat par Washington et Tel-Aviv a permis à Sharon de justifier les mesures unilatérales contre les Palestiniens et le grignotage systématique de leur territoire par l'accroissement des colonies et la construction du mur sur les territoires des palestiniens. Quel serait l'effet de la disparition du symbole Arafat sur la résistance palestinienne ? L'avenir nous le dira. Les Palestiniens sont appelés à faire preuve de beaucoup de souplesse pour éviter les déchirements entre eux. Il leur faut surtout beaucoup de sagesse pour ne pas succomber à la démagogie, très répandue dans le monde arabe et particulièrement chez les radicaux palestiniens. Une fois Arafat disparu, ils doivent mettre en place des institutions étatiques, un Etat de droit... Ils seront invités à consolider leur unité nationale, à reprendre langue avec Israël, les Etats-Unis et l'Union européenne..., à reconstruire la confiance avec leurs partenaires de la paix... La route de la Palestine est encore longue. Mais la démagogie est susceptible de l'allonger davantage ! A. C.