La présidente de la Sarp oppose l'énonciation d'une loi à l'agresseur et l'agressé, pour sortir de la sphère de la confrontation. Liberté : Que retenez-vous en tant que professionnelle de la proximité avec les victimes du terrorisme ? Mme Chérifa Bouatta : La proximité avec les victimes nous a instruits sur la nature de la violence qu'ont eu à subir des populations résidant, pendant la dernière décennie, dans une région qualifiée par la presse de “triangle de la mort”. Les victimes ont, d'une part, subi des traumas cumulés, des pertes multiples, des deuils traumatiques, des privations, des contraintes et des spectacles horribles (avoir vu des cadavres étêtés, des corps mutilés) et, d'autre part, vécu plus de dix ans sous un régime de terreur… En tant que psychologues de la Sarp, nous ne pouvions rester indifférents aux douleurs des personnes touchées par les violences. Qu'avez-vous appris, notamment lors de vos contacts avec les familles de disparus ? Il y a quelque chose de l'ordre du deuil qui ne s'est pas faite, qui ne peut pas se faire s'il n'y a pas de débat. Les familles sont hantées par le “fantôme” du disparu. Elles se demandent où il se trouve, s'il est encore vivant ? La culture intervient beaucoup dans la question du deuil. Le psychologue est un partenaire qui permet à ces personnes de dire quelque chose sur les disparus, mais seul, il ne peut rien faire, car c'est un problème de société. Il est nécessaire d'ouvrir un débat sur ce problème. Il faut que les personnes qui n'ont pas retrouvé les corps disparus aient des sépultures, un lieu ou un espace pour venir se remémorer et se recueillir, c'est-à-dire une reconnaissance sociale. Que sont devenus les enfants témoins d'assassinats et de massacres collectifs ? Dans la plupart des cas, les enfants de familles traumatisées ne peuvent que souffrir et développer souvent des troubles psychotraumatiques, parce qu'un enfant seul ça n'existe pas. Pour qu'un enfant évolue “normalement”, il faut qu'il ait auprès de lui et avec lui des adultes, des parents, en bonne santé mentale. Cet enfant a également besoin d'évoluer dans un environnement social, où les repères sont clairs pour lui, c'est-à-dire les questions fondamentales, relatives au bien et au mal. Si amnistie il y a, quelles seraient, selon vous, ses conséquences sur les victimes du terrorisme ? L'amnistie est une décision politique. Je retiens en tant que professionnelle qu'en Algérie, il y a eu des déchirures, des ruptures à plusieurs niveaux, qui ont touché des individus, des familles et les liens sociaux. Pour qu'il y ait réparation à l'échelle nationale, la présence d'un tiers, en plus de l'agresseur et l'agressé, est nécessaire. Le tiers serait la loi, l'énonciation d'une loi, qui permettrait aux deux parties dans l'adversité, dans le conflit, de retrouver quelque chose de l'ordre du vivre ensemble. La dualité est mortifère, c'est-à-dire qu'on est dans la confrontation. Le tiers permettrait ainsi de sortir de la dualité, pour accéder à des niveaux d'organisation et de structuration sociale et psychologique plus qualitatifs. Croyez-vous vraiment à la paix entre victimes du terrorisme et familles de disparus ? Oui, j'y crois en tant que citoyenne. Mais, je suis consciente de ce que ces personnes ont vécu comme douleurs, comme pertes, de ce qu'elles étaient et de leur passé, et de leurs difficultés à se projeter dans l'avenir. Beaucoup de familles sont encore dans une espèce d'impasse, où l'avenir n'existe pas. Elles vivent avec leurs fantômes et leurs morts. H. A.