Le plus vieux parti de l'opposition en Algérie est-il devenu un simple satellite du pouvoir ? La question méritait assurément d'être posée ! Si dans sa déclaration liminaire, le premier secrétaire du Front des forces socialistes (FFS), Mohamed Nebbou, a été invité hier au Forum de Liberté et n'a pas manqué pas de décocher une "pique" à notre quotidien : "Je ne peux qu'être sensible à l'occasion qui m'est offerte de m'exprimer dans ce journal, à un moment particulier et sensible pour notre initiative, même si, dans le même temps, je n'ai pu que constater l'hostilité de certains journalistes de votre rédaction à notre démarche." Quelque peu désarçonnés par cette première salve, les journalistes n'en seront pas au bout de leur peine puisque l'orateur renchérit sur leur compte : "La sportivité c'est bien, la liberté d'expression dans le respect de l'éthique et de la déontologie de la profession c'est mieux ; au-delà des attaques abusives et des jugements de valeur sur les personnes, ce que je tenais surtout à rappeler c'est la lourde responsabilité sociale de la presse écrite et des médias en général dans un contexte national sensible à tout égards." Passé cet intermède, Nebbou s'attaquera ensuite à un sujet qui lui tient à cœur et qui lui a fait accepter finalement l'invitation lancée par notre quotidien, à savoir l'initiative de son parti quant à la préparation en Algérie d'une conférence nationale de consensus. "La feuille de route du 5e congrès du FFS vise à réhabiliter le politique en Algérie, à reconstruire un consensus politique national qui, d'après nous, est la seule voie pour un avenir meilleur." Très enthousiaste, le premier secrétaire du FFS s'est félicité que cette idée ait fait du chemin depuis qu'elle a été lancée, rappelle-t-il, en avril 2014. "La conférence nationale du consensus s'est enracinée dans la population et le paysage politique du pays", affirme-t-il, sans ciller. Déjà un premier report Prévue initialement pour les 23 et 24 février 2015, cette conférence sera renvoyée à cette occasion sine die et ce, "après un examen et une évaluation de la situation". "Nous ne sommes pas à la recherche d'une date mais d'un consensus." Pour motiver ce report, du reste prévisible, Nebbou, optimiste, fera valoir les demandes de participation à la conférence nationale de consensus qui, selon lui, se font, chaque jour, plus nombreuses ( !) remettant en cause ainsi, les délais de préparation et la proposition de la date de la conférence. "C'est une démarche collective et consensuelle à toutes les étapes. Pour l'heure, il s'agit de mettre en place un groupe de contact. Plusieurs partis politiques ont déjà délégué leurs représentants. Dans la symbolique de la politique, nous devons tous nous réunir autour d'une table. Ce n'est pas la conférence du FFS mais celle de tous les participants." Pourtant, la presse nationale relève (ou tout au moins évoque), chaque jour, des défections devant l'initiative du FFS. Pour Nebbou, il ne peut s'agir dans le cas d'espèce que d'une simple vue de l'esprit ou, pire, d'une malveillance puisque, selon lui, "aucun acteur consulté n'a exprimé de refus officiel quant à sa participation à cette conférence". S'il refuse de parler d'échec, il reconnaît toutefois certaines divergences exprimées au sujet notamment de "l'architecture et de la préparation de cette conférence". Parmi ces réserves, certains des acteurs consultés veulent s'assurer que la "légitimité des institutions" ne soit pas remise en cause. Le lecteur l'aura deviné : il s'agit des partis du pouvoir, à leur tête l'ancien parti unique qui n'hésite pas à tracer au FFS ses "lignes rouges". Peu importe, pour Nebbou, des partis comme le FLN ou encore Taj ont, d'ores et déjà, adhéré à l'initiative. "On ne va pas rentrer dans les détails. Je peux vous dire qu'ils ont confirmé leur participation." De la légitimité, parlons-en ! Très attendu sur cette question de la légitimité du pouvoir en Algérie, le patron du plus vieux parti d'opposition se fera, une fois n'est pas coutume, l'avocat du diable : "Parler de la légitimité des institutions n'a aucun sens. Nous, nous apportons des solutions. Notre initiative se projette au-delà des mandats électifs actuels. Elle se projette bien au-delà des institutions actuelles." Lors du débat, la question de la légitimité a beau avoir été répétée plusieurs fois par les journalistes, l'orateur, stoïque, s'en tiendra toujours à sa même réponse de Normand. Idem pour une éventuelle participation de "la grande muette" aux débats. Sans le dire ouvertement, pour lui, l'institution militaire doit se tenir à l'écart : "Nous souhaitons une armée républicaine, c'est notre vision." On lui rappellera alors que certains de ses interlocuteurs ont exprimé publiquement des réserves concernant la participation d'autres acteurs comme par exemple les anciens du FIS dissous. "Le consensus n'est pas l'unanimisme", martèle-t-il même si les journalistes présents devront endosser, aujourd'hui, le rôle peu gratifiant de "bouc émissaire" pour une initiative qui, de toute évidence, bat de l'aile. "Ce n'est pas une initiative partisane, nous nous adressons aux 40 millions d'Algériens. Notre porte restera ouverte à tous les acteurs politiques et ceux de la société civile." De fait, la réponse de Nebbou sera, une fois encore, tout aussi alambiquée car de toute manière, les différentes demandes et autres réserves soulevées par les interlocuteurs du FFS ne sont que le fait d'une certaine presse qui les a présentées "abusivement" comme des préalables à une éventuelle participation. "Notre conférence se veut sans exclusion aucune mais dans le respect total de la loi. Nous sommes des légalistes et respectueux des lois", s'est-il borné à répondre, préservant, semble-t-il, à tout prix l'avenir de son initiative, aujourd'hui, à la rame. Et qu'en est-il précisément de la participation du pouvoir réel si tant est qu'il soit incarné en Algérie ? Pour Nebbou, la représentation de "l'Etat policier" à cette conférence est indiscutable : "On veut préserver l'Etat algérien et les intérêts suprêmes de la nation algérienne. C'est pourquoi, nous sommes convaincus que sans le pouvoir, on ne peut aller vers une nouvelle ère, que sans le pouvoir, notre conférence ne peut réussir. Nous allons donc tout faire pour qu'il soit associé." Voilà enfin, une déclaration qui a le mérite d'être très claire. Mais pourquoi parler à la fin de conférence nationale de consensus et même de transition démocratique si la légitimité des institutions n'était pas en cause ? S'il n'y avait pas de véritable crise politique ? Aït Ahmed vous salue bien ! Ménageant la chèvre et le chou, Nebbou, fidèle à sa démarche, n'en démord pas : "Quelle que soit la terminologie, on veut aller vers le changement. On veut entrer dans une nouvelle ère avec une séparation des pouvoirs, des libertés à respecter, etc. Notre but est de mettre en place, de manière collective et consensuelle, un système politique ouvert, édifier un Etat de droit et mettre en place un certain nombre de normes permettant un meilleur fonctionnement de l'Etat et de ses institutions. Notre but est d'apporter ensemble, dans la cohésion nationale, des réponses cohérentes et adaptées aux défis de la situation actuelle ; le pays a besoin de transformations politiques, économiques et sociales fondamentales.» Une situation qui ne date pas d'aujourd'hui et qui d'ailleurs, mieux que le FFS, peut en parler ? "Cela fait des années que l'on parle de la corruption en Algérie. Cela n'a pas empêché qu'elle se soit généralisée à l'échelle nationale. Il ne s'agit pas seulement de dénoncer mais d'être efficace, d'agir de sorte à instaurer des normes de gouvernance..." Interrogé par ailleurs sur l'état de santé du leader charismatique et non moins président d'honneur du FFS, Hocine Aït Ahmed, l'invité de Liberté se veut rassurant : "Notre président se rétablit chez lui. D'ailleurs, il vous passe le bonjour." Questionné, en outre, sur la conférence de la CLTD qui vient d'être interdite par les autorités et que le FFS n'avait toujours pas condamnée, Nebbou considère, sur le tard, que "la liberté est une valeur fondamentale pour le FFS". Ce qui ne l'empêche pas de trouver que certains journalistes présents affichent trop, à son goût, des positions politiques sinon partisanes. "Dans tous les cas, ils seront les bienvenus à la conférence", lance-t-il à la fin non sans ironie. M.-C.L.