Le verdict prononcé avant-hier dans l'affaire dite de l'autoroute Est-Ouest, que d'aucuns parmi les avocats de la défense ont qualifié de scandaleux, a été apprécié positivement par d'autres au moment où la plupart se sont abstenus de le commenter, se limitant à annoncer que leurs clients vont se pourvoir en cassation. Le tribunal criminel d'Alger a rejeté le point capital sur lequel a porté l'accusation dans cette affaire et pour lequel celle-ci a été criminalisée, à savoir l'association de malfaiteurs, et les inculpés ont ainsi bénéficié de peines clémentes, en tout cas peu sévères au vu des charges retenues par l'enquête préliminaire et l'instruction. En effet, le premier volet de l'affaire liée au marché de l'autoroute Est-Ouest a vu l'acquittement des deux anciens proches collaborateurs d'Amar Ghoul au ministère des Travaux publics, son chef de cabinet Belkacem Ferrachi et le secrétaire général Mohamed Bouchema. "Justice est rendue", a estimé Me Miloud Brahimi au sujet de son client Mohamed Bouchema. Beaucoup de protagonistes dans cette affaire ont attesté de son intégrité. Câlinant tantôt son épouse qui n'a pas pu retenir ses larmes tantôt son fils qui sautait de joie, Mohamed Bouchema n'a pas voulu s'exprimer, quittant la cour en courant aussitôt le verdict prononcé. Satisfait de la relaxe de son client, Me Brahimi a souligné que "dans l'ensemble, les peines étaient clémentes ou moins sévères que ce qui était attendu". "C'est un progrès pour la justice de ce pays, nous en avons assez des peines maximales", a-t-il conclu. Le tribunal a fait endosser les faits de corruption à Mohamed Khelladi, directeur du programme neuf (DPN), division créée au sein de l'Agence nationale des autoroutes (ANA) pour les besoins de la gestion du chantier de l'autoroute Est-Ouest, en tant que commis de l'Etat, qui a écopé de 10 ans de prison ferme assortis d'une amende de 7 millions de dinars et la confiscation de ses biens saisis lors de la perquisition de son domicile. Corruption, trafic d'influence, dilapidation de deniers publics et perception d'indus cadeaux sont les charges retenues à son encontre. Mohamed Khelladi, qui a manifesté beaucoup d'énergie tout au long du procès, devenant même une attraction à cause de ses boutades, est resté de marbre. Il va se pourvoir en cassation d'après son avocat Me Mahmoud Labassi. L'autre fonctionnaire condamné dans cette affaire est Ahmed Rafik Ghazali, qui était chargé d'études au ministère des Travaux publics à l'éclatement du scandale. Il a bénéficié de circonstances atténuantes et n'a été condamné, pour trafic d'influence, corruption et abus de fonction, qu'à une année de prison avec sursis. Chani se met en grève de la faim L'homme d'affaires Chani Medjoub, présenté comme l'accusé principal dans cette affaire pour son lobbying en faveur des Chinois de Citic-CRCC qui ont réalisé les lots centre et ouest de l'autoroute en question, a été condamné à 10 ans de prison ferme, assortis d'une amende de 3 millions de dinars et la confiscation de sa villa sise 20, rue Poirson à El-Biar, la provision de son compte CPA (15 millions de dinars) et celle de son compte Natixis au Luxembourg. "Ce jugement a été pris bien avant que le procès ne débute. On a voulu donner un visage de clémence à la justice mais c'est faux ! Les peines prononcées sont lourdes parce qu'aucune preuve accablant les prévenus n'a été apportée lors des débats. Chani est innocent", a déclaré l'avocat, Me Belarif dans le hall du tribunal. Chani n'a pas attendu le verdict pour déposer un préavis de grève de la faim. Un communiqué de presse signé par Me Belarif a été distribué avant que le juge Tayeb Hellali ne commence la lecture du rapport des délibérations. On y lit que le préavis a été déposé le 6 mai. "La décision de M. Chani Medjoub est celle d'un homme qui a perdu tout espoir en un appareil judiciaire qui est déterminé à l'anéantir en lui confectionnant des dossiers de poursuites successives à partir d'une procédure souche dite de l'autoroute Est-Ouest", a asséné Me Belarif dans le communiqué. L'autre homme d'affaires, Sid-Ahmed Tadjeddine Addou, intermédiaire des Portugais de Coba et des Canadiens de SMI ayant décroché des marchés de contrôle externe dans le cadre de la réalisation de l'autoroute Est-Ouest, a écopé de 7 ans de prison ferme assortis d'une amende de 3 millions de dinars et la confiscation des avoirs déposés dans ses comptes HSBC Suisse. Chani et Tadjeddine ont été condamnés pour trafic d'influence, corruption et blanchiment d'argent. L'officier du Département de renseignement et de sécurité (DRS), le colonel Khaled, de son vrai nom Mohamed Ouazzane, qui siégeait au ministère de la Justice avant son inculpation dans cette affaire, a été condamné, lui, à trois ans de prison ferme et à une amende de 300 000 DA, pour trafic d'influence et perception d'indus cadeaux. Une année avec sursis pour les filles de l'ambassadeur Abdelkrim Ghrib Les entreprises Citic-CRCC (Chine), Cojaal (Japon), SMI (Canada) et Coba (Portugal) ont été condamnées à une amende de 5 millions de dinars chacune, au même titre que Garavanta (Suisse), Pizzarotti (Italie) et Isolux Corsan (Espagne), inculpées dans l'autre volet de l'affaire lié aux infrastructures de transport, et ce, pour trafic d'influence, corruption, participation dans la dilapidation de deniers publics et octroi d'indus cadeaux. Ce second volet de l'affaire a vu la condamnation du gendre de l'ancien ambassadeur Abdelkrim Ghrib, Salim Rachid Hamdane, qui occupait le poste de directeur de la planification au ministère des Transports, à 7 ans de prison ferme assortis d'une amende d'un million de dinars et la confiscation des sommes saisies lors de la perquisition de son domicile. Son épouse Widad Ghrib et ses deux belles-sœurs Fella et Radia Ghrib ont été condamnées à une année de prison avec sursis pour complicité dans le blanchiment d'argent. Idem pour les frères cambistes, Naïm et Madani Bouzenacha, lesquels ont été condamnés pour entorse à la réglementation des changes. Sid-Ahmed Addou, neveu de Sid-Ahmed Tadjeddine Addou et proche de la famille Ghrib, que l'instruction a présenté comme le principal intermédiaire des entreprises Garavanta, Pizzarotti et Isolux Corsan, a écopé d'une peine de trois ans de prison dont un an ferme, assortis de la confiscation de ses comptes bancaires. L'homme d'affaires de Bordj Bou-Arréridj, El-Khier Allab, cité dans le dossier par un cadre de l'Entreprise du métro d'Alger (EMA), a été relaxé. El-Khier n'a pas été entendu par le juge d'instruction. Il a été auditionné pendant le procès par le juge Tayeb Hellali. Il a soutenu qu'il n'a rien à voir avec cette histoire et que ses déboires en tant qu'homme d'affaires auraient commencé suite à son divorce avec la fille du défunt général du DRS, Smaïn Lamari, après seulement deux ans de mariage. El-Khier, qui était le premier à avoir introduit Samsung en Algérie et qui est associé dans plusieurs entreprises familiales, avait alors déclaré : "La dame m'a courtisé, épousé et répudié sans que je puisse comprendre pourquoi ! On dirait qu'on m'avait fait passer le Service national !", non sans susciter des éclats de rire dans la salle d'audience. Il convient de rappeler que le procès de l'affaire de l'autoroute Est-Ouest, ouvert le 19 avril dernier a été mené vers une impasse par Chani Medjoub. Après le retrait de ses avocats, leur client a refusé qu'on lui désigne un avocat commis d'office. Le juge avait suspendu l'audience pour une semaine, au bout de laquelle Chani a accepté que le collectif de ses avocats se reconstitue pour le défendre. Le collectif s'est reconstitué sans le Français, Me William Bourdon, et le Luxembourgeois, Me Philippe Penning, qui ont quitté l'Algérie juste après la suspension de l'audience. Le tribunal a débattu d'un arrêt de renvoi récapitulant des faits révélés par l'instruction qui ont constitué la base de poursuite pour corruption de 16 personnes et 7 entreprises et consortiums étrangers. Des commis de l'Etat, qui auraient reçu des pots-de-vin de compagnies étrangères qui voulaient obtenir des marchés en Algérie par l'intermédiaire de lobbyistes. Ils devaient répondre des chefs d'accusation d'association de malfaiteurs, de dilapidation de deniers publics, de corruption et de blanchiment d'argent. Outre le projet de l'autoroute Est-Ouest, l'affaire inclut un volet lié à d'autres projets de travaux publics et de transports. Des personnalités influentes comme le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, le ministre des Transports, Amar Ghoul, l'ancien ministre des Finances, Abdellatif Benachenhou, Mohamed Bedjaoui, ancien ministre des Affaires étrangères, les généraux du DRS, Hassen et Abdelali, ou encore l'homme d'affaires trinational, Pierre Falcone (français, angolais et brésilien, ndlr), ont été citées par les différents protagonistes mais les pistes les concernant n'ont pas été creusées par l'instruction. L'arrêt de renvoi indique qu'Amar Ghoul aurait touché un pot-de-vin de la part du bureau d'études français Egis par le biais d'un homme d'affaires qui s'appelle Tayeb Kouidri, présenté comme son homme de confiance. Selon le même document, Abdellatif Benachenhou aurait suggéré à Chani Medjoub plusieurs mois avant le lancement de l'appel d'offres pour le marché de l'autoroute Est-Ouest de prendre attache avec Nasreddine Boussaïd dit "Sacha" pour qu'il le mette en contact avec les Chinois de Citic qui ont décroché par la suite le marché des lots centre et ouest de l'autoroute Est-Ouest dans le cadre du groupement Citic-CRCC. Chani Medjoub a orienté le débat d'abord autour de ses conditions de détention et la présumée torture qu'il aurait subie dans les locaux du DRS et ensuite vers les ficelles de l'ingénierie financière. Chani a déclaré qu'il était consultant de Citic et disposait d'un contrat en bonne et due forme, expliquant que les faits que lui attribue l'arrêt de renvoi relèveraient d'aveux qui lui ont été extorqués sous la torture ou dictés sous la menace. Mohamed Khelladi, lui, a amené le tribunal vers le monde ténébreux de l'espionnage, affirmant être derrière l'éclatement du scandale. Khelladi a déclaré qu'il a transmis des renseignements au DRS au retour d'une mission "secrète" en Chine. Un voyage qui lui aurait permis de mettre la main sur des informations obtenues par une entreprise chinoise dans le cadre de la veille concurrentielle. Un certain Philip Chen, responsable dans cette entreprise qui a construit l'usine d'armement de Seriana, lui aurait révélé, selon ses dires, les taux négociés par chacun des "décideurs" dans le processus d'attribution de ce marché. Au total, 20% de la valeur du marché qui s'élèvent à 6,2 milliards dollars américains pour les lots confiés au Chinois. Une somme, selon Khelladi, que se seront partagée les Ghoul, Bedjaoui, Falcone, Chani et autres responsables du groupe chinois. Des pourvois en cassation devront être introduits avant l'expiration des délais de rigueur. Certains n'ont pas encore tranché leurs décisions. L.H.