Nassima Bouaifer, première Algérienne à pratiquer la sculpture monumentale, vit à Montréal (Canada). Titulaire d'un diplôme d'études supérieures en arts visuels, spécialité sculpture, de l'Ecole supérieure des beaux-arts d'Alger (1995) et d'un certificat en création d'entreprise au HEC Montréal, pour le projet de création Atelier – Galerie d'art multiculturelle (2009), l'artiste a participé à de nombreuses expositions individuelles et collectives en Algérie, en Tunisie et au Canada. Liberté : Vous exposez actuellement "Le couloir des exilés" à Montréal à la Maison du développement durable. De quoi s'agit-il au juste? Nassima Bouaifer : La Maison du développement durable accueille mon exposition "Le couloir des exilés", depuis le 5 mai dernier, et elle durera jusqu'à la fin du mois. C'est une installation sculpturale modulable abordant le thème de l'exil, qui reste d'actualité. L'exposition porte sur la réalité que vivent les immigrants. À travers 53 visages en terre cuite, elle évoque les espoirs des exilés, leurs rêves, les origines et l'identité, mais également le souvenir, le déracinement, l'histoire et l'avenir. Ces visages, pris dans un filet en jute, comme dans une toile d'araignée, expriment un sentiment de suspension et de déséquilibre. C'est l'image métaphorique de l'humain dans sa quête de soi et de l'autre. Il devient la mémoire identitaire de chaque individu, pris dans sa trame. L'ombre du filet suspendu inonde l'espace. Une transition se crée, le prolongement de l'œuvre par son ombre enveloppe le visiteur. L'installation globale nous transporte dans le couloir des mémoires, des sentiments contradictoires, de l'angoisse et de la délivrance : telle est la tension d'exil qui enfante l'Homme universel ! La question de l'exil est très présente chez vous. La vie à Montréal est-elle à l'origine de cet intérêt ou trouvez-vous matière dans ce qui se passe dans le monde ? Effectivement, il est question d'exil, sauf que j'aborde le sujet dans sa globalité. Je parle d'exilés, migrants, réfugiés, déplacés, expulsés, de nombreux mots pour un seul acte qui est celui de quitter un lieu natal pour des raisons politiques, historiques, presque toujours violentes, pour rejoindre un pays nouveau, porteur d'espoir et de liberté. Dans la précipitation du départ, on emporte avant tout sa mémoire, et en vrac des chansons, des goûts, des parfums, des blessures et des joies, et on avance comme ça, dans d'autres villes, d'autres langues, d'autres codes, en oubliant et en se souvenant. J'ai commencé "Le couloir des exilés" dans mon atelier à Montréal, en 2009. J'ai repris l'œuvre en 2014-2015, en l'agrandissant et en l'amplifiant pour garder toute sa puissance et sa pertinence. C'est une œuvre qui ne finit jamais, on peut la reprendre à tout moment. L'intérêt que je porte à l'exil est à la fois en relation avec mon vécu et celui de millions de personnes. Il y a une sorte d'exode mondial où chacun définit son propre nord : les Subsahariens ont l'Afrique du Nord comme nord, les Nord-Africains focalisent leur exil vers l'Europe et les Européens vers l'Amérique du Nord. J'ajouterai que ma démarche artistique traite de la prépondérance des antagonismes sociaux. De cette discorde est née ma quête d'une expression sculpturale/installation à connotation sociale. Dans mon travail, je traite de la relation ambiguë et paradoxale de la société versus homme. Ce qui m'interpelle, ce sont les rapports des événements qui maintiennent l'homme dans une situation de déséquilibre, de précarité : les religions, la place de la femme en société, le paternalisme, le sexisme, l'identité, l'exil, la consommation... Comment vivez-vous la séparation d'avec l'Algérie ? Je pense que ma réponse se trouve dans mon œuvre "Le couloir des exilés". C'est l'éternelle suspension ! H. A.