Les savants musulmans ont toujours essayé de réconcilier les pratiques cultuelles avec les dimensions et valeurs spirituelles qu'elles sont censées porter. C'est le cas notamment du célèbre philosophe, juriste et sufi Abû Hâmid al-Ghazâlî (9) (1058/1111), qu'on nomme aussi "la preuve de l'islam" (hujjat al-islam) pour ses apports et ses contributions scientifiques, intellectuels et spirituels. L'imam al-Ghazâlî, dans son livre La revivification des sciences de la religion (Ihyâ' 'ulûm ad-dîn) distingue pour la pratique du jeûne, différents niveaux. Il dit en substance : "Sache qu'il existe trois types de jeûne : le jeûne des gens ordinaires (sawm al-‘awâm), le jeûne des élites ou des rapprochés (sawm al-khawâs) et le jeûne des élites parmi les élites (sawm khawâs al-khawâs )." Chacun de trois ces niveaux ajoute des exigences de pratique pour atteindre le jeûne spirituel, c'est-à-dire à l'abstention de mauvaises pensées. Dans ce travail, Al-Ghazâlî cherche justement à réconcilier les domaines du rituel (privation, abstention), de l'éthique (bon comportement) et de la spiritualité (purification du cœur). Il définit ensuite caque type de jeûne. "Le jeûne du commun est caractérisé par l'abstention de se livrer aux désirs du ventre et du sexe : ne pas boire, ne pas manger et ne pas avoir des rapports sexuels du lever au coucher du soleil." Ce jeûne-là, tous les musulmans savent l'expliquer car ils respectent tous cette pratique. Malheureusement, ils réduisent très souvent cette pratique spirituelle à cette privation qui gêne. En plus de cela (la privation), dit il, "le jeûne de l'élite consiste à préserver du péché l'ouïe, le regard, la langue, les mains, les pieds et tous les membres ou les organes d'action (jawârih)". (9) Abou Abû Hâmid Mohammed ibn Mohammed al-Ghazâlî (1058-1111), connu en occident sous le nom d'Algazel. Le jeûne des rapprochés consiste à s'élever spirituellement, maîtriser son corps et libérer son cœur dans un monde qui à tendance à nous pousser vers l'oubli de soi. Jeûner revient alors à faire attention à ce que nous entendons, à ce que nous voyons à ce que nous portons dans nos cœurs comme le dit le Coran : "L'ouïe, le regard, et ce que tu portes dans ton cœur, de tout cela il te sera demandé des comptes" (Coran 17/36). En plus de tout cela ajoute l'Imam al-Ghazâlî, "le jeûne de l'élite de l'élite (sawm al-khuçûç) consiste pour le cœur à s'abstenir des préoccupations mondaines et de toutes pensées vaines, de manière à être entièrement tourné vers Dieu le Très-Haut". Ce jeûne consiste à se vider des passions inutiles et éviter de se dissoudre dans l'agitation, se confier en l'Eternel dans le silence de la nuit, s'abandonner totalement à Sa volonté et se dépouiller tout aussi totalement de ses intérêts propres. Avec le jeûne du cœur, Dieu nous appelle à prendre de la distance avec soi de façon à ne vivre que par Lui, avec Lui et pour Lui. La nuit, nous la passons dans la lumière et la chaleur de Sa proximité. Et le jour, nous apprenons à aimer, écouter, partager et nous rapprocher des pauvres, des nécessiteux et de tous ceux qui sont dans le besoin. Il y a tout un travail d'intelligence et d'exigence de clarté à opérer pendant le mois de Ramadhan. Il y a tout un travail de recherche de sens à approfondir. L'enjeu consiste à dépasser une lecture et une approche purement formaliste et développer une réflexion sur les valeurs éthiques et les enseignements spirituels du jeûne ainsi que toutes les prescriptions divines. Ce n'est pas un hasard si le jeûne a été recommandé au fil des siècles par toutes les religions et toutes les spiritualités. Celui ou celle qui accueille le mois de Ramadhan et se lance dans le jeûne avec les seuls concepts du "halal" et du "haram" sans se donner la peine de comprendre les dimensions spirituels de cet acte spirituel, n'a compris ni le sens de cette pratique de purification ni les valeurs du bon comportement, de l'amour et du partage auxquels appelle ce quatrième pilier de l'islam. 9 - Abou Abû Hâmid Moḥhammed Ibn Mohḥammed al-Ghazâlî (1058-1111), connu en Occident sous le nom d'Algazel. G. A.