Dans un discours musclé, le président russe annonce la couleur : replacer la Russie dans la trajectoire de grande puissance. Dans son traditionnel discours annuel à la Nation, prononcé mercredi, le président russe, Vladimir Poutine, s'est lancé dans une longue critique des Etats-Unis, les comparant au loup qui «mange et n'écoute personne». Mais au-delà même de la critique de l'unilatéralisme états-uniens -qui veut imposer son hégémonie au monde- le discours de Vladimir Poutine annonce de fait le retour de la Russie au premier plan. Une Russie qui semble ainsi se relever après un effacement de la scène internationale qui aura duré plus d'une décennie, depuis la chute du bloc soviétique. Ce n'est pas encore la grande Union soviétique de la guerre froide, mais le discours de Poutine laisse en revanche entrevoir que la Russie de 2006 est en train de récupérer peu à peu sa puissance d'antan qui lui permet aujourd'hui de jouer les arbitres dans les questions internationales difficiles, à l'instar de la crise du nucléaire iranien, ou de l'arrivée du Hamas au pouvoir dans les territoires palestiniens occupés. De fait, Moscou a été la seule grande puissance a avoir reçu des dirigeants du mouvement islamiste palestinien. Poutine dit bien, sans le dire expressément certes, que la Russie a maintenant les moyens de redevenir le «contrepoids» à l'impérialisme américain qu'avait été l'Union soviétique dans les années fastes du communisme. Certes, l'interprétation des propos musclés du président russe n'a pas été la même, d'aucuns n'y voyant qu'un discours à consommation locale destiné à une population nostalgique de l'empire soviétique que la Perestroïka et la Glasnost de Mikhaïl Gorbatchev avaient détruit de l'intérieur. Mais n'est-ce pas un peu simpliste que de réduire le discours de Poutine à cette seule dimension? Aussi, certains analystes russes, plutôt pessimistes, ne voient dans le discours de Vladimir Poutine que de la gloriole la Russie étant, selon eux, «un pays du tiers monde» «C'est un rituel qui a peu de rapports avec la réalité», a ainsi estimé Vladimir Pribylovski du Centre de echerche Panorama. Selon lui, «ce qu'il dit n'est pas ce qu'il va faire... la Russie n'est pas un pays fort. C'est un pays du tiers monde». Il ne fait aucun doute cependant que la Russie, dont l'économie était délabrée, pour ne pas dire inexistante, dont l'armée n'avait plus d'armée que le nom -au lendemain du séisme qui a fait voler en éclats l'Union soviétique en 1992- retrouve peu à peu ses marques et la manne des hydrocarbures qui est énorme (à 70 dollars le baril, faites vos calculs, la Russie étant le premier producteur mondial de pétrole et de gaz) n'y est pas étrangère qui aide puissamment à ce retour au premier plan. Et le moins qui puisse être dit est que la Russie, à défaut d'imposer son point de vue, est aujourd'hui écoutée, et rien en fait ne peut se faire sans son aval. L'opposition de Moscou -membre permanent du Conseil de sécurité avec droit de veto- dans la crise du nucléaire iranien qui a vu les Occidentaux retirer leur résolution du Conseil de sécurité (les Etats-Unis tenaient à faire référence au Chapitre VII de la Charte de l'ONU, lequel ouvre la voie aux sanctions et probablement à une intervention armée) et par là, obligés de revoir leur copie, est indicative du fait que la Russie, qui n'est plus l'Union soviétique, a à nouveau les capacités d'élever le ton et d'interpeller son puissant alter ego américain. D'autant plus que Moscou n'a rien pu faire en 2 003 pour empêcher l'invasion de l'Irak par l'armée de la coalition américano-britannique. Il est patent que le discours de Vladimir Poutine n'est pas uniquement fait pour la galerie et qu'il induit un certain nombre de faits qui méritent d'être lus correctement et surtout rendus au contexte international dans lequel ils sont exprimés. Ainsi, lorsque le président russe évoque le budget militaire américain et précise qu'il est «en valeur absolue 25 fois supérieur à celui de la Russie», Vladimir Poutine ne fait que constater une réalité admise par tous les experts internationaux en matière de défense et de stratégie. Selon les estimations des centres de recherche stratégiques -et les informations fournies par le gouvernement fédéral américain- le budget du Pentagone est estimé pour l'année fiscale en cours à quelques 475 milliards de dollars. C'est dire le fossé qui sépare aujourd'hui une superpuissance telle que les Etats-Unis et une «grande » puissance comme la Russie. Le fait est que la course aux armements n'a jamais cessé et que l'administration Bush lui a même donné un coup d'accélérateur tant par l'abrogation par le président George W.Bush de l'accord américano-soviétique sur les ABM, que par le fait que les USA préparent la génération des armes de l'espace comme l'indique le président russe qui a déclaré à ce propos: «Il est prématuré de parler de la fin de la course aux armements. Elle s'accélère aujourd'hui» et fait référence au «risque de prolifération de charges nucléaires de petite puissance» comme l'apparition «d'armes nucléaires dans l'espace». A l'évidence la Russie -dont le budget militaire a été augmenté de 20% annonçait Poutine- se prépare à suivre. Ce qui, à terme, ramènerait le monde à la situation qui était celle à l'époque de la guerre froide. Le discours de Poutine, loin d'être une clause de style, indique en fait un retour au premier plan de la Russie qui commence à relever la tête comme en témoigne la demande faite par Moscou au Club de Paris d'un règlement anticipé des énormes dettes extérieures contractées auprès des pays industriels. Toutefois il y a d'autres signes qui montrent qu'il faudra sans doute un jour de nouveau compter avec la Russie.