Le Ghara Djebilet a failli connaître le sort du Béchar. Dimanche, vers 20 heures, ce vieux navire a manqué de peu de s'échouer au niveau du port d'Alger. La gabegie et la négligence seraient à l'origine de ce nouvel accident. Une nouvelle catastrophe maritime aurait pu se produire hier au port d'Alger. À quelques dizaines de mètres du lieu du naufrage du Béchar en novembre dernier, le Ghara Djebilet a failli connaître le même sort. Accosté à la jetée Mustapha sur la passe sud du bassin portuaire, non loin du siège de l'Amirauté, ce navire vieux de 28 ans allait tirer sa révérence. Son naufrage manqué a eu lieu dimanche aux environs de 20 heures. Jusqu'à l'heure, les versions divergent sur les causes exactes de ce grave incident, pourtant prévisible compte tenu de la vétusté de l'embarcation. Du côté de la direction générale de l'entreprise nationale de navigation (Cnan), où l'on minimise l'ampleur du problème, un certain cafouillage est observé dans les assertions des uns et des autres. Si pour Mme Ould El-Hadj, attachée de presse, une fissure dans la coque du bateau est en partie responsable de sa déclivité, M. Khlifiti, directeur technique, nie, quant à lui, l'existence d'une quelconque fente. Une faute humaine évoquée Dans une explication très technique, ce responsable de la Cnan lie les raisons de l'inclinaison dangereuse du Ghara Djebilet à une rupture de communication entre les deux ballasts. Les ballasts étant des compartiments érigés sur toute la longueur du navire et servant au lestage et à l'équilibrage d'un bateau, une perte d'eau dans l'une de ces buttes aurait causé sa vacillation à tribord, soutient notre interlocuteur. Selon lui, “une faute humaine” pourrait être à l'origine du vidage d'un des réservoirs. “Quelqu'un a peut-être laissé les vannes ouvertes”, suppose M. Khlifiti. Il suggère, par ailleurs, “qu'une rupture de tuyauterie” est également possible. Que s'est-il réellement passé ? Au lendemain de l'incident, la Cnan n'était toujours pas en mesure de fournir un éclaircissement. Son directeur technique s'est contenté d'affirmer qu'une enquête est ouverte pour déterminer les causes exactes de l'incident. D'autres pourtant, des marins et des syndicalistes, sont unanimes à dire qu'une fois encore, la négligence et la gabegie sont de mise dans cet énième scandale au port d'Alger. Après le naufrage du Béchar qui avait emporté une dizaine des membres de son équipage, dont le commandant de bord, les langues se sont déliées. Hier, sur l'un des quais de la capitainerie, des matelots qui scrutaient les mâts du Ghara Djebilet n'ont pas hésité à jeter le fiel sur leur direction en relevant sa mauvaise gestion, pis son ignorance des règles minimes de sécurité maritime. “Ils ne vous emmèneront jamais constater de près ce qui est arrivé au Ghara Djebilet car ils ont peur que vous découvriez la vérité”, ont lancé des marins à l'intention d'un groupe de journalistes voulant aller à proximité du bateau. D'après eux, contrairement aux assurances officielles, le navire menace toujours de couler, et ce, en dépit de son redressement par les remorqueurs. “Si vous vous approchez de lui, vous remarquerez que la ligne de flottaison est visible. Ce qui suggère qu'il n'est pas tout à fait stabilisé”, confient les matelots. D'autres révélations dont ils se font l'écho dévoilent l'ampleur du danger encouru par le Ghara Djebilet. D'après nos interlocuteurs, le bateau, devenu presque une épave, est rongé par la rouille. En principe, mis en vente, il serait parqué à quai depuis plus de deux ans. Laissé sans entretien, il est livré depuis aux caprices du climat. En quatre ans, le bateau a rompu plusieurs fois ses amarres, notamment lors des inondations de Bab El-Oued en 2001, au cours du naufrage du Béchar et suite aux plus récentes intempéries. “Jadis, cette embarcation faisait la fierté de la marine nationale”, regrette un chef-mécanicien. Dit à rouleaux, le Ghara Djebilet a servi au transport de machines et autres appareillages d'usine. Désormais, il est un vestige. “Il s'est tellement cogné contre le quai par les ressacs que sa coque s'est fragilisée”, révèlent encore les marins. D'après eux, l'existence d'une voie d'eau ayant entraîné l'inclinaison du navire est incontestable. Sur le degré de l'inclinaison, leur estimation diffère aussi de celle de leur direction. Si le responsable technique de la Cnan situe le degré d'inclinaison à 20°, les marins le portent à 40°. “Si rien n'avait été entrepris, le navire aurait coulé en moins de 24 heures”, jurent-ils. Leurs objections ont trait, par ailleurs, à l'inexistence de conditions de sécurité sur le bateau. Contradictions Alors que la direction de la Cnan assure la présence de tout l'équipage, soit une quinzaine de personnes, à bord de Ghara Djebilet dimanche soir, des amarreurs affirment qu'il n'y avait que deux veilleurs de nuit incapables de prendre n'importe quelle mesure pour sauver le navire. Pire que cela. L'absence d'énergie électrique à bord aurait retardé le sauvetage. C'est en tout cas l'assertion des marins. Un agent de remorquage dépêché sur le Ghara Djebilet confirme leurs dires. Selon lui, il a fallu se procurer un transformateur pour brancher l'électricité et pomper l'eau. Cette version est formellement démentie par M. Khlifiti. D'après lui, il n'y avait aucun problème d'électricité. “La preuve est que le bateau était éclairé”, souligne-t-il. En tout cas, les équipements de secours du port étaient encore une fois insuffisants. Comme dans le drame du Béchar, il a fallu faire appel aux agents de la Protection civile pour éviter au Ghara Djebilet une fin tragique. Une cellule de crise a été mise en place par ailleurs. Le précédent du Béchar étant encore dans les esprits, il fallait absolument éviter une autre catastrophe. Cependant, pour nombre de marins, il ne sert à rien de colmater les brèches mais de se conformer à des règles de gestion et de sécurité strictes. “Le port est une véritable poubelle. Dans la passe où se trouve le Ghara Djebilet, au moins une dizaine de chalutiers se sont échoués. Les bateaux étrangers évitent d'y jeter l'ancre”, confie-t-on encore. Qu'en est-il de la viabilité des bateaux encore à flots ? Les exemples du Béchar, du Batna, le vraquier ayant échoué sur la plage des Sablettes, et du Ghara Djebilet sont éloquents. Il y a quelques jours, un autre navire, le Kasr Chellala, était saisi au port d'Anvers en Belgique pour non-conformité avec les règles de navigation maritime. S. L.