Ce sont les avocats des inculpés liés aux marchés de la télésurveillance qui ont plaidé hier au tribunal criminel d'Alger dans le procès de l'affaire Sonatrach I. Ceux de l'entreprise allemande Funkwerk Plettac, contrôlée depuis 2012 par le groupe espagnol Teldat, se sont surtout plaints du "deux poids, deux mesures" infligé à leur cliente. Les rôles joués par El-Hachemi Meghaoui et son fils Yazid Lyes dans le processus de passation des marchés entre Sonatrach et Funkwerk Plettac n'ont pas été déterminés avec exactitude ni durant l'instruction ni durant le procès de l'affaire Sonatrach I qui tire à sa fin. Et cela a balisé le terrain à leurs avocats qui ont disserté hier sur la conformité de la procédure judiciaire et crié au scandale. Leurs avocats ont, en effet, récusé les preuves ayant conduit à leur inculpation, estimant qu'il n'est pas interdit de gagner de l'argent en monnayant son expertise. Ainsi, Me Mokrane Aït Larbi s'est dit scandalisé par les propos du représentant du ministère public qui, dans son réquisitoire, s'est moqué de la compétence de Meghaoui fils : "Je ne vous vise pas personnellement, mais ce n'est pas votre faute. On vous a demandé de défendre un dossier vide", a-t-il avancé en s'adressant au représentant du ministère public. Le représentant du ministère public, faut-il le rappeler, s'était demandé comment quelqu'un qui n'a même pas eu son bac puisse conseiller l'entreprise allemande en matière de logistique. Pour 8 000 euros par mois. Dans ce contexte, Me Borghol a souligné la rationalité de la démarche de Funkwerk en engageant ses clients comme consultants plutôt en s'offusquant du monopole qu'exercent des cabinets multinationaux sur le marché de la consultation. "Toutes les entreprises recourent à des consultants quand elles s'engagent dans des pays étrangers. Or, les ‘‘big four'' (description collée aux quatre grands cabinets internationaux de consulting, Ndlr) facturent très cher des prestations fournies pour des miettes par des compétences locales. Et je pense que les Allemands de Funkwerk ont bien fait en faisant directement appel à mes clients", a-t-il déclaré. Qui avait le courage de dire non à Chakib Khelil ? En tout cas, les plaidoiries de ces deux avocats ne se sont pas attardées sur les faits reprochés aux Meghaoui. En récusant les preuves, Me Mokrane Aït Larbi a dénoncé la faiblesse du parquet face à la police judiciaire. "Les procès-verbaux de la police judiciaire ne constituent pas des preuves et les magistrats instructeurs ne les utilisent qu'à titre informatif. Nous avons vu que le juge d'instruction a gelé les comptes de nos clients sur la demande de la Police judiciaire", a-t-il regretté. Me Borghol, lui, a tourné la démarche de la justice en dérision : "La traduction d'El-Hachemi Meghaoui devant la justice dans cette affaire a pour but de maquiller la procédure judiciaire et prémunir le responsable politique. Puisqu'on ne poursuit pas les ministres chez nous ! C'est pour nous dire, vous avez deux P-DG, que voulez-vous de plus ? Les ministres ? Ce n'est pas encore le moment, cela peut attendre d'autres temps". Et d'assener : "Dites-nous, qui avait le courage de dire non au ministre de l'Energie à l'époque ? Il a même réussi à faire passer une loi antinationale sur les hydrocarbures qui donne droit aux compagnies pétrolières de s'approprier le sous-sol algérien ! Heureusement que le Président l'a gelée. Qu'est-ce qui est plus grave ? Ce que fait le ministre ou ce que font ceux qui exécutent ses instructions ?". Il convient, néanmoins, de signaler que le représentant du ministère public s'est interrogé, lors de l'audition d'El-Hachemi Meghaoui, si ce dernier, P-DG du CPA de 1998 à 2005, a eu ou non à assister à des réunions du conseil d'administration de Sonatrach comme représentant du ministre des Finances et s'il a eu ou non à rencontrer le P-DG de Sonatrach dans le cadre de ses fonctions de banquier. Ce que l'accusé a nié. Et si cette question légitime l'interrogation au sujet d'un éventuel délit d'initié, le dossier entre les mains du tribunal présente El-Hachemi Meghaoui et son fils comme des salariés de Contel Algeria qui ont décroché des contrats de consulting avec l'entreprise allemande partenaire de cette société avant d'acquérir, enfin, des actions dans la holding instituée pour la gérer. Poursuivis pour six chefs d'inculpation à savoir, l'organisation d'une association de malfaiteurs, conclusion de marchés en violation de la réglementation, trafic d'influence, participation dans la dilapidation de deniers publics, corruption et blanchiment d'argent, ils ont nié les accusations devant le tribunal, en essayant de démontrer la propreté de l'argent versé par Contel et Funkwerk respectivement sur leurs comptes en Algérie et en France. L'immunité de Vsat et Serpe Martec Les avocats de Funkwerk Plettac, poursuivie pour majoration des prix et corruption, se sont également déployés pour répondre à leurs confrères plaidant pour la partie civile ainsi qu'au représentant du ministère public, lesquels ont douté des capacités de cette entreprise. "Ce n'est pas une petite entreprise, elle a inventé une caméra dotée de projecteurs à infrarouge spécialement pour Sonatrach. Nous avons adjoint le brevet d'invention dans le dossier. C'est une entreprise cotée en Bourse, ce qui donne une garantie de transparence parce que cette cotation l'oblige à publier ses comptes. D'autant qu'elle n'a signé aucun contrat avec Sonatrach. Dans le groupement institué avec Contel Algeria pour le projet, son rôle était de fournir les équipements", a précisé Me Kamel Alleg. Et de conclure : "Pourquoi n'a-t-on pas poursuivi Vsat et Serpe Martec qui ont obtenu une partie du marché, dans les mêmes conditions que Funkwerk Plettac et suivant la même procédure de passation des marchés ? Parce que la nationalité française immunise Vsat et Serpe Martec. Si Funkwerk Plettac était française, elle aurait échappé aux poursuites." Lyas Hallas