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"Bon ordre en mer", maritimisation de Daech ?
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Publié dans Liberté le 09 - 02 - 2016

Bon ordre en mer est fondé sur le fait historique que le développement humain a toujours été et continue d'être lié à la mer. L'économie algérienne est fortement dépendante de la mer. Une grande partie de ses échanges se font avec l'Europe. Toute perturbation de la Méditerranée aurait un impact certain sur le pays.
L'insécurité maritime est le reflet direct des problèmes sur terre donc du littoral. En termes de concentration géographique, les littoraux prédominent. En Algérie, le littoral qui occupe 2% du territoire national regroupe plus de 40% de la population. Le rythme de la croissance urbaine est soutenu, effet d'un accroissement naturel fort et d'un exode rural qui perdure. L'importance stratégique de l'accès à la mer comme au littoral est ainsi évidente – or à l'échelle mondiale, les littoraux pourraient connaître d'importants conflits. Bien que les guérilleros et terroristes sont majoritairement des terriens (ou "landlubbers"), la sécurité maritime doit assurer le "bon ordre en mer". Toute analyse pertinente sur la mer doit d'abord reconnaître l'importance stratégique des littoraux quoique chaotiques du monde. Car, comme explique Geoffrey Till, il y a des "liens intimes dans les deux sens entre le bon ordre en mer et le bon ordre sur la terre". Exemple, les massacres commis à Mumbai en novembre 2008, orchestrés par le groupe terroriste pakistanais Lashkar-e-Taiba. Ce commando provenait de Karachi, mégapole de plus de 21 millions d'habitants dont le port est l'un des plus fréquentés au monde (26 millions de tonnes de fret par an). L'extrême congestion du port a permis aux terroristes de se faufiler vers la mer où ils ont rapidement enlevé un bateau avec son équipage.
Les acteurs non étatiques armés de ce type font partie de l'environnement normal des grandes zones côtières réseautées ; un petit bateau à son bord des hommes malintentionnés en colère fait partie du paysage habituel zones littorales urbanisées chaotiques. Théoriquement, de tels scénarios pourraient se reproduire avec l'intrusion de Daech en Libye ou un autre groupe.
La donne est susceptible de changer avec l'instabilité et le chaos grandissants en Libye. Daech, entité hybride criminalo-terroriste, serait tenté d'étendre ses activités à la mer. L'intensité du trafic maritime en Méditerranée et l'étroitesse relative de cette mer lui offrent des cibles de choix.
L'impact que pourraient avoir un attentat éventuel de ce type serait profond. Ce type de scénario dont parle le vice-amiral Clive Johnstonea, le plus haut officier de la marine du Royaume Uni à l'Otan, est tout à fait probable.
Sauvegarder la mer de toutes mauvaises utilisations
Ici, le défi central n'est pas de localiser et détruire les forces navales ennemies, mais le maintien du "bon ordre" en mer. La tâche est d'assurer l'accès aux biens communs maritimes par et pour tous les acteurs légitimes et d'y interdire les activités illégales ou hostiles. Il s'agit de sauvegarder la mer d'une mauvaise utilisation de toutes sortes. Dans certains cas, cela signifie protéger les navires commerciaux de piraterie et, dans d'autres, cela peut signifier la protection de la pêche ou l'interdire aux terroristes.
Bon ordre en mer est fondé sur le fait historique que le développement humain a toujours été et continue d'être lié à la mer. L'économie algérienne est fortement dépendante de la mer. Une grande partie de ses échanges se font avec l'Europe. Toute perturbation de la Méditerranée aurait un impact certain sur le pays.
L'apport de la mer au développement humain est basé sur la façon dont la mer est utilisée, à savoir les ressources qu'elle contient ; son utilité en tant que moyen de transport et le commerce ; son importance comme moyen d'échange d'informations ; et source de puissance et domination.
"Le bon ordre en mer assure la sûreté et la sécurité de la navigation et permet aux pays de poursuivre leurs intérêts maritimes et développer leurs ressources marines conformément au droit international" et d'une manière écologiquement durable et pacifique. Un manque de bon ordre à la mer est évident s'il y a une activité illégale en mer ou des dispositions inadéquates à la sûreté et la sécurité de la navigation. Les "menaces au bon ordre en mer comprennent la piraterie et les attaques armées contre les navires, le terrorisme maritime, le trafic illicite de drogues et d'armes, la contrebande de personnes, la pollution, la pêche illégale, les risques naturels marins et de conflits interétatiques maritime". Le détroit de Malacca et la Corne d'Afrique, deux régions considérées les plus dangereuses, sont infestés de pirates non seulement traditionnels, mais aussi maintenant des groupes et mouvements islamistes. Et ce n'est qu'une question de temps, lorsque ces deux phénomènes fusionnent et produisent de graves problèmes de l'insurrection islamiste en mer, y compris des frappes terroristes et des perturbations de l'approvisionnement en pétrole. Selon James Kurth, l'insurrection maritime est différente de l'insurrection terrestre sur un point important, à savoir une fois en mer dans leurs propres navires, les insurgés peuvent facilement être attaqués avec peu de craintes que des civils soient également blessés – hormis des situations où les insurgés ont pris en otages des équipages et des passagers du navire.
Sans la nier, une éventuelle "insurrection maritime" islamiste mérite d'être expliquée. Les capacités maritimes de la guérilla et des terroristes sont une extension des capacités terrestres – les intentions maritimes sont différentes des capacités maritimes. Traduire les intentions en capacités nécessite une grande expertise (expérience et formation) et des ressources. Seuls quelques groupes armés à travers le monde ont développé les capacités nécessaires pour mener des attaques sur des cibles maritimes. La plupart des groupes exploitent l'environnement maritime pour le transport de marchandises et personnes.
En outre, bien que le transport terrestre demeure plus vulnérable aux attaques (attentats de Madrid le 11 mars 2004 et de Londres du 11 juillet 2006 pour ne pas citer ceux qui ont été déjoués), l'aviation reste la cible privilégiée des groupes de menaces multiples. Le domaine maritime ne constitue pas un beau domaine pour une attaque. La préférence du terrorisme est d'attaquer un symbole de prestige national.
Dans un monde globalisé, un attentat contre un avion dans le ciel ou un aéroport international établira une large publicité et génère la peur. Les répercussions seront mondiales, contrairement à un attentat contre un navire en mer.
En dépit du durcissement des moyens de contrôle et de sécurité au niveau des aéroports, le nombre d'attentats déjoués dans le domaine aérien montre une préférence des terroristes pour le domaine de l'aviation en raison de l'impact et de la publicité qu'offre une attaque contre des cibles bien protégées.
Dans la plupart des cas, guérilleros et terroristes – intéressés par des attaques à faible coûts et fort impact – n'attaquent une cible maritime que si elle est attrayante et profitable. Attaquer un navire en haute mer est comme un abattre arbre dans la forêt. Comme les groupes armés cherchent de la publicité, leur préférence est d'attaquer une cible à proximité du front de mer ou au port.
En outre, sont rares les groupes qui ont accès à de grands bateaux ou navires capables d'opérer en dehors des eaux territoriales. Sauf pour le vol de marchandises ou la prise d'otages de passagers et personnels, ils préfèrent attaquer des cibles non loin des rivages. En somme, l'exploitation de la mer par les terroristes s'apparente à celui de l'internet.
Bien que le cyberespace soit devenu une extension du champ de bataille, au lieu de monter des attaques contre les infrastructures d'information, terroristes et criminels utilisent l'internet pour diffuser leur propagande, communiquer, recueillir des fonds, former, coordonner les opérations.
La plupart des groupes utilisent le domaine maritime pour soutenir leurs activités et non pour des opérations offensives.
Al-Qaïda a cherché à utiliser la mer pour soutenir les opérations à terre et a planifié des attaques sur des navires en Méditerranée. Mais les attaques maritimes sont rares dans la région, et même si plusieurs groupes terroristes sont actifs en Afrique du Nord, aucun n'a démontré une capacité maritime sinon de l'intention.
Il ne faut pas sous-estimer les capacités des groupes terroristes en la matière, mais il ne faut pas non plus y voir une opportunité pour justifier une intervention militaire en Libye. "Plus les canons sont nombreux, plus ils ont tendance à tirer vite, tout seuls." Cette expression de Bismarck est révélatrice de la stratégie de l'Otan. Lorsque de tels scénarios sont évoqués publiquement et à haut niveau de l'Otan, il est légitime de s'interroger si "l'histoire est-elle à nouveau en mouvement ?". La seule guerre qui mérite d'être soutenue est celle qui n'est jamais menée. Saint Augustin soutenait que "la paix est normalement le but de la guerre. Au contraire, la guerre n'est pas le but de la paix". L'histoire a prouvé qu'il est impossible de miser durablement et exclusivement sur la puissance militaire.
La sagesse de Sun Tsé reste une référence en la matière : "N'oubliez jamais que votre dessein, en faisant la guerre, doit être de produire la paix de l'Etat et non d'y apporter la désolation. Si tu uses du sabre pour régler un problème politique, sache au moins que tu t'engages dans une guerre longue et jamais gagnée." Seule une solution politique est susceptible de sortir la Libye de chaos actuel. Ce sera un processus long et difficile. Mais il n'y a pas d'autre antibiotique au chaos en dehors du politique ; le rétablissement de l'Etat libyen et renforcement de ses institutions. Pour Alger, la célèbre remarque de Bismarck fait toujours cas d'école : "Toutes les puissances voyagent sur le fleuve du temps ; elles ne peuvent ni le créer ni le diriger, mais elles peuvent naviguer dessus avec plus ou moins d'habileté et d'expérience."
T. H.
Chercheur en histoire militaire (Paul-Valery).


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