Résumé : Tassadite pose ses conditions et Aïssa les accepte. Le mariage aura lieu quelques semaines plus tard, lorsque le jeune homme peut enfin offrir un toit à sa dulcinée qui continuera à travailler chez ses bienfaiteurs, alors qu'avec le temps, lui-même deviendra un habile négociant. Ma maison devint vite un repère pour les négociants. Des commerçants et des passagers vinrent me retrouver pour me proposer de troquer leurs marchandises ou de conclure des marchés avec les villageois. Une année passe. Hemmama était de nouveau enceinte et attendait son troisième enfant. Tassadite s'inquiétait pour elle. Elle ne cessait de me répéter qu'elle était trop faible pour mener sa grossesse à terme. Kaci était rentré de France durant l'été et était reparti. C'était donc ma femme qui s'occupait encore d'elle. Tassadite désertait mon foyer pour passer ses nuits auprès de Hemmama. Elle craignait que quelque chose n'arrivât si elle ne l'assistait pas. Pourtant, la jeune femme était courageuse et s'accrochait autant qu'elle le pouvait. Elle mena sa grossesse jusqu'au bout, et le moment de sa délivrance arriva enfin. Tassadite fera appel à la vieille accoucheuse du village. Mais les heures passaient et le bébé tardait à venir. Hemmama était trop faible pour mettre au monde son enfant. On était en pleine nuit, et trop loin de la ville pour penser à ramener un médecin. Vers l'aube, la jeune parturiente donnera le jour à un petit garçon, mais en échange rendra l'âme. Au petit matin, Tassadite, abattue, vint m'annoncer la triste nouvelle. Je descendis au village pour envoyer un télégramme à Kaci qui n'arrivera que trois jours plus tard, alors qu'on avait déjà enterré la jeune femme. Il pleura amèrement la perte de son épouse et s'apitoiera sur le sort de ses enfants. On le consolera et on lui conseillera de repartir en France pour reprendre son travail et assurer le pain de ces derniers. Il passe quelques jours au village, et à la veille de son retour en France, il vint nous retrouver, Tassadite et moi, pour nous supplier de prendre soin de ses enfants jusqu'à ce qu'il voie plus clair dans ses affaires. Nous ne pouvions refuser de venir en aide à un être déjà brisé par ce qu'il venait de subir. Je le rassure sur le sort des enfants et l'exhorte à reprendre le chemin de l'exil. Ici, au bled, ses enfants ne manqueront de rien. Nous lui promîmes d'en prendre soin comme s'ils étaient les nôtres, Tassadite et moi. D'ailleurs, habitués à elle comme ils l'étaient, les deux aînés, Aïcha et Saïd, ne quittaient plus ses jupons. Celui qui me faisait plus de peine, c'était Malek, le benjamin. Il n'avait que quelques jours et pleurait sans arrêt. Quelques jeunes accouchées au village s'étaient proposées pour l'allaiter. Néanmoins, il ne cessait pas ses pleurs. Tassadite lui préparera alors un semblant de confiture constituée de miel et de cumin qu'il sembla apprécier. Elle m'explique que le bébé souffrait de coliques, et ce "remède" était très efficace dans son cas. Quelques mois passent. Le bébé avait grandi et prenait du poids. Kaci ne donnait pas signe de vie. Nous continuâmes à nous occuper des enfants, comme si de rien n'était. Nous n'osions même pas aborder le sujet de leur père. En fait, nous craignions plutôt qu'il ne revienne et qu'il nous les reprenne. Quelques émigrés de passage au village nous révélèrent que Kaci ne travaillait plus. Il passait son temps dans les bars et dépensait toutes ses économies. On l'avait déjà ramassé plusieurs fois, ivre mort, sur les trottoirs de Paris, et même sa logeuse avait fini par le mettre à la porte. Je compris que le pauvre homme était perdu. Le chagrin l'avait anéanti. Sinon comment expliquer ce comportement qui ne l'honorait pas. Je tentai de lui envoyer un mot avec un villageois qui le connaissait bien. Je lui demandais de rentrer pour trouver du réconfort au bled auprès des siens. Nous étions prêts à le recevoir chez nous, où il pourrait retrouver ses enfants. Je ne reçus aucune réponse à ma missive. Kaci continuait à faire tous les soirs des siennes. Des mois plus tard, on retrouvera son corps dans la Seine. Etait-il tombé après s'être saoulé ? Ou bien était-ce un crime ? (À suivre) Y. H.