Il n'y avait pas grande foule hier au rassemblement organisé à l'initiative du collectif Benchicou pour les libertés afin d'exiger la libération du directeur du Matin qui aura bouclé une année de prison. Fatalisme, lassitude ? Mais les amis et les camarades de lutte étaient là, à l'image de Abdelaziz Rahabi, ancien ministre, du commandant Azzeddine, Abdelhak Bererhi du CCDR, de Me Ali Yahia Abdenour (LADDH), de Me Benarbia, avocat de Benchicou, des personnalités de la culture comme la comédienne Sonia, Boujemaâ Karèche, ancien directeur de la Cinémathèque, Yazid Khodja, cinéaste, des militants du MDS, des délégués des archs et du mouvement citoyen du Sud, de quelques syndicalistes à l'image de Redouane Osmane (CLA), des représentantes des associations féministes et des journalistes. Mais beaucoup auront brillé par leur absence, notamment les responsables de partis politiques. Même le décor de circonstance qui accompagne de coutume les célébrations n'était pas au rendez-vous. Deux ou trois banderoles où l'on pouvait lire “Libérer Benchicou, ôter le bâillon de la presse” et les noms de quelques martyrs de la corporation, quelques portraits du célèbre prisonnier et puis un bouquet de fleurs. Uniquement. “C'est une triste journée, nous ne pouvons pas continuer à subir les pressions et les harcèlements judiciaires”, soutient Ahmed Fattani, directeur du journal L'Expression. “Nous sommes tous visés, et il faut que tout le monde comprenne, les partis, la société civile, le pouvoir, qu'il n'y a pas de démocratie sans liberté de la presse”, dit-il. Constatant la modeste présence, il ajoutera : “La presse, c'est un long combat. Nous gagnerons même si la mobilisation n'a pas atteint le niveau qu'il faut.” Rabah Abdellah, SG du SNJ, demande, de son côté, la libération de Benchicou et la dépénalisation du délit de presse. “Libérez Benchicou !” clame-t-il. Réputé pour ses formules, Me Benarbia juge que “tout le peuple algérien est en liberté surveillée”. Abdelhak Bererhi, lui, estime qu'“il n'y aura pas de rahma pour Benchicou si on ne se mobilise pas”. “On est venu, poursuit-il, exprimer notre solidarité. Il ne faut pas céder au silence et au fatalisme. Nous sommes tous des otages, à vrai dire.” Yaha Abdelhafid, ancien du FFS, convoque l'histoire : “L'Indépendance, dit-il, est confisquée.” “Il faut combattre la dictature, et je rends hommage à Benchicou parce qu'il a dit ce qu'il fallait dire.” Alors que Zoubir Souissi, du Conseil de l'éthique et de la déontologie, appelle à “continuer le combat”. Même appel de Bélaïd Abrika du mouvement citoyen de Kabylie qui ajoutera qu'il “faut garder l'espoir”, tandis que Yacine Teguia du MDS invite à la mobilisation. Un vœu partagé également par Redouane Osmane. Cependant, il y eut trois moments forts : d'abord cette marche jusqu'au siège de l'Etusa, non loin de la Maison de la presse où deux journalistes avaient trouvé la mort le 14 juin 2001 et où une gerbe de fleurs a été déposée sous les cris “Libérez les innocents, jugez les assassins”. Cette sortie, un défi par les temps qui courent, a sans doute permis à la corporation de montrer aux citoyens que le combat pour la liberté de la presse continue. Ensuite : le message de Benchicou lu par son frère. Enfin, cette image saisissante des anciens du Matin se retrouvant. Au menu, les souvenirs du bon vieux temps avec son cortège d'anecdotes. L'ombre de Benchicou n'était finalement pas si loin. C'était un 14 juin. KARIM KEBIR