Le gouvernement d'union tunisien de Youssef Chahed a pris officiellement ses fonctions hier et va devoir immédiatement donner des gages sur sa capacité à redresser un pays au bord de l'asphyxie économique, cinq ans après sa révolution. La cérémonie de passation entre le plus jeune Premier ministre de l'histoire moderne de la Tunisie (40 ans) et son prédécesseur Habib Essid (67 ans), dernier acte du marathon institutionnel, a eu lieu en fin de matinée à Carthage, près de la capitale. Elle a été l'occasion pour M. Essid, un indépendant invité à prendre la porte en raison de résultats jugés insuffisants, de laisser à nouveau transparaître ses regrets. "J'espère que ce gouvernement va durer (...) La pire chose pour ce pays, c'est le changement de gouvernement chaque année", a-t-il grincé. Youssef Chahed, un libéral issu du parti Nidaa Tounès fondé par le président Béji Caïd Essebsi, s'est montré moins disert que vendredi devant le Parlement. "La situation est compliquée mais nous sommes optimistes, nous allons assumer nos responsabilités. Sois tranquille pour la Tunisie", a-t-il dit à l'adresse de son prédécesseur. Pour mener à bien sa mission, M. Chahed dispose de plusieurs atouts, outre sa jeunesse. Féminisé et rajeuni, le gouvernement Chahed a confortablement obtenu la confiance de l'Assemblée des représentants du peuple (ARP) vendredi, avec 168 voix (sur 217) et son discours offensif devant les députés a reçu un écho favorable. Mais le septième Premier ministre de l'après-révolution va devoir combattre le sentiment de désenchantement d'une population lasse des crises à répétition. De nombreux Tunisiens ont relevé que le sombre diagnostic qu'il a livré à l'ARP avait déjà été établi par certains de ses prédécesseurs, sans que cela ne change le cours des choses. Les priorités sont connues, notamment la lutte contre le chômage, la corruption et le terrorisme. Sur ce dernier point, Youssef Chahed a choisi la continuité en confirmant les titulaires de l'Intérieur et de la Défense. Après une série d'attaques terroristes sanglantes qui ont ravagé le secteur touristique, ces deux ministres ont pu se prévaloir de l'accalmie actuelle. Mais preuve qu'elle reste précaire, trois soldats ont été tués et six autres blessés hier dans l'explosion de mines durant une opération de ratissage au mont Sammama (centre-ouest), considéré comme l'un des principaux maquis terroristes du pays. La première des tâches du cabinet Chahed sera effectivement de s'atteler à la relance de l'activité économique minée par les conflits sociaux. À la faveur des larges négociations menées cet été, le gouvernement compte deux anciens membres du puissant syndicat UGTT... ce qui à lui seul n'est toutefois pas un gage de réussite. Car malgré ce cabinet dit "d'union nationale", Youssef Chahed sera loin de bénéficier d'un climat de concorde. L'opposition a annoncé la couleur. "Vous obtiendrez la confiance de l'ARP, pas celle des chômeurs et des pauvres !", a asséné le député du Front populaire (FP), Ammar Amroussia. Au sein même du gouvernement, M. Chahed devra gérer une coalition hétéroclite dont l'une des marques de fabrique reste l'alliance contre nature entre Nidaa et les islamistes d'Ennahda, première force au Parlement. R. I./Agences