Le travail en équipe est aujourd'hui reconnu comme le mode d'organisation par excellence pour assurer la performance dans l'entreprise. Mais toutes les équipes ne sont pas nécessairement performantes. Pour atteindre la performance, l'équipe doit réunir certains ingrédients essentiels. Lors de la finale de la dernière Coupe d'Europe des nations de football, certains observateurs ont, paradoxalement, attribué la victoire du Portugal à la sortie prématurée de Cristiano Ronaldo. Alors que beaucoup s'attendaient à un effondrement de l'équipe portugaise, la sortie à la 24e minute de la vedette de la Seleção a eu pour effet, selon des observateurs plus attentifs, de renforcer considérablement l'engagement et la détermination de ses coéquipiers. Du reste, tout le monde a pu noter que Ronaldo n'est pas allé dans les vestiaires après sa sortie, mais est resté constamment debout sur la touche. Exhortant ses camarades par la voix et le geste, il a su leur transmettre un surcroît d'énergie et de combativité pour lutter jusqu'au bout et obtenir la victoire finale. Cet épisode remarquable de l'Euro 2016 nous fournit des enseignements précieux sur les principes qui fondent la performance des équipes. En particulier, il démontre que ce n'est pas nécessairement la seule présence au sein d'une équipe d'une vedette aussi exceptionnelle que Ronaldo qui fait la différence. Ce sont d'autres ingrédients, moins apparents à première vue, qui doivent être mis en œuvre pour gagner. Ce qui est vrai dans le football, et dans les sports collectifs en général, l'est tout autant dans le monde de l'entreprise. Car, partout, la performance est moins le résultat de l'utilisation de stratégies particulières ou de compétences individuelles exceptionnelles mais découle davantage de la qualité des relations entre les hommes au travail. Et ce n'est pas anodin si Google, le géant des technologies de l'information, a pu le vérifier de façon incontestable. En 2012, Google a lancé le projet "Aristote", une initiative destinée à identifier les facteurs qui distinguent ses équipes les plus performantes ; et pouvoir ainsi découvrir la formule idéale pour constituer l'équipe parfaite. Les facteurs étudiés allaient du background éducationnel des membres, de leurs hobbies et jusqu'à la fréquence des repas pris ensemble par l'équipe. Après l'analyse de plusieurs centaines d'équipes au travail conduite pas une armée de statisticiens, chercheurs, sociologues, psychologues organisationnels et ingénieurs, aucune corrélation statistiquement significative n'a été trouvée permettant de montrer qu'un de ces facteurs avait plus d'impact qu'un autre sur la performance. L'équipe Aristote a alors cherché si la solution ne résidait pas dans ce qu'on appelle les "normes de groupe" : des règles implicites d'interaction entre les membres du groupe qui régulent leur façon de se comporter les uns par rapports aux autres. À cet égard, ils ont découvert que ce qui comptait le plus pour assurer l'efficacité d'une équipe c'est la "sécurité psychologique". Comme la définit Amy Edmondson, professeure de leadership et management à la Harvard Business School, la sécurité psychologique exprime "le fait que les membres d'une équipe pensent qu'ils peuvent prendre des risques interpersonnels en toute sécurité". Autrement dit, "il décrit un climat de travail caractérisé par une confiance interpersonnelle et un respect mutuel faisant que les membres d'une équipe se sentent à l'aise d'être eux-mêmes". En particulier, le projet Aristote a découvert que ce ne sont pas les équipes qui renferment les meilleures talents qui sont les plus efficaces... mais ceux où les coéquipiers parlaient plus librement entre eux ! C'est donc ce sentiment de confort psychologique qui permet aux membres d'une équipe d'être plus solidaires et de faire preuve de créativité en ne s'autocensurant pas. On pourra trouver une excellente synthèse des résultats du projet Aristote dans un article du New York Times du 25 mai 2016 (1). C'est probablement cette sécurité psychologique qui a libéré la Seleção en ne portant plus la pression sur les seules épaules de Ronaldo et en délivrant du même coup le potentiel de tous les autres joueurs. De façon tout aussi remarquable est l'exemple de la surprenante équipe d'Islande laquelle, démentant tous les pronostics, a réussi à se hisser en quarts de finale. On a appris que les joueurs islandais avaient développé une grande complicité entre eux. Par exemple, ils avaient l'habitude d'aller en vacances ensemble. Ce qui renforce considérablement la solidarité de l'équipe. En outre, n'ayant pas de vedettes dans leurs rangs, ils se sont sentis tous investis dans l'objectif de performance. Enfin, ils étaient beaucoup moins soumis à la pression externe, notamment celle des médias. Ce qui a certainement été fatal à l'équipe de France en finale. S. S.