Les nouvelles techniques d'exploitation du gaz aux Etats-Unis ont introduit une véritable révolution dans cette industrie, tant au niveau du forage que des installations de surface. De quoi s'agit-il, et est-ce que cette révolution, particulièrement dans les installations de surface, est utilisable en Algérie ? Si nous analysons les coûts de développement initial d'un gisement moyen de gaz en Algérie, nous constatons que le forage représente en gros 10% à 15% de ces coûts. Le transfert par pipeline quant à lui est très variable et dépend de la situation du champ en question par rapport aux infrastructures existantes. Il peut varier entre 5% et 15% du coût de développement initial. Quant aux installations de surface, elles représentent 65% à 85% des coûts, soit de plusieurs centaines de millions de dollars à plus deux milliards de dollars. Nous voyons que ces installations représentent de loin le plus gros de l'investissement initial, n'en déplaise à ceux qui les qualifient de quincaillerie. Si on veut réduire sérieusement les coûts de developpement de n'importe quel produit, il faut agir sur le poste budgétaire qui consomme le plus, c'est à dire les installations de surface ici. C'est précisément le levier sur lequel ont joué les sociétés américaines pour rendre compétitif le gaz produit aux Etat-Unis. En plus d'une réduction des coûts de forage par le developpement de nouvelles techniques et l'amélioration de la chaîne logistique globale, c'est la révolution dans la construction des installations de surface qui a rendu possible la livraison du gaz américain à l'Europe à des prix compétitifs. Cette révolution dans la conception et la construction des installaions de surface peut facilement être applicable au contexte algérien. Et puisqu'on parle de réduction de coûts, Sonatrach a tout intérêt à considérer cette révolution qui lui permettra de réduire jusqu'à 50% le coût de développement initial et dans les mêmes proportions les délais de réalisation. De quoi s'agit-il au juste ? Jusqu'à récemment, chaque installation de surface est conçue pour être fixe et pour traiter le seul type de gaz pour lequel elle a été prévue. Elle ne peut pas être déplacée et ne peut pas traiter un gaz dont la composition diffère sensiblement du gaz pour lequel elle a été conçue. La conception se fait sur mesure, spécifiquement pour le projet en question. La réduction des coûts de production de gaz aux Etats-Unis a été rendue possible en grande partie en révolutionnant la vision traditionnelle des installations de surface par le développement des unités modulaires standars qui peuvent traiter une large gamme de gaz, sans être à chaque fois dans l'obligation de repartir à zéro pour chaque projet. Ainsi, des modules standards peuvent aujourd'hui être acquis auprès des grands équipementiers / intégrateurs. Pour chaque fourchette de volumes traités, assez large d'ailleurs, l'engineering est fait une seule fois et sert à la fabrication des modules standards qui, en plus de la grande fouchette des volumes traités, peuvent également prendre en charge une large gamme de gaz de différentes compositions et propriétés. Ainsi, au lieu de faire appel à chaque fois aux sociétés d'Enginering, Procurement & Construction (EPC) à la manière traditionnelle, avec tout le très long processus allant du lancement de l'appel d'offres jusqu'au choix final, on peut acquérir directement des modules standards. Les modules standards sont assemblés en usine sur skid puis transportés directement sur le site de production. En fonction du type de gaz, chaque client peut acquérir les modules dont il a besoin pour déshydrater le gaz, le débarrasser du dioxyde de carbone, de l'acide sulfurique, le fractionner en ses différents composants (méthane, GPL, condensat, etc.) et même le liquéfier sur place le cas échéant. Les modules sont ensuite connectés entre eux sur site par des éléments prévus à cet effets. La technologie modulaire présente d'énormes avantages en matière de coûts, de delais de réalisation et de flexibilité par rapport à la technologie traditionnelle vieillissante : - Contrairement à la technologie traditionnelle de construction sur mesure, avec la nouvelle technologie l'engineering est fait une seule fois pour chaque module standard, quitte à apporter des légères adaptations éventuelles si nécessaire. - Le montage des modules se fait en usine, pertmettant ainsi de préparer le site pendant que les modules sont en cours d'assemblage. - Réduction du nombre de personnes pendant l'installation sur le site de production, d'un millier dans le cas conventionnel à une centaine de personnes dans le cas des unités modulaires. - Réduction des coûts de maintenance et donc des coûts opératoires. - Contrairement aux usines conventionnelles qui ne peuvent traiter qu'une étroite fourchette de volume pour laquelle elles ont été conçues, les modules peuvent traiter une large fourchette de volumes. - Contrairement aux unités conventionnelles qui ne peuvent traiter que le gaz pour lequel elles ont été prévues, les modules peuvent prendre en charge pratiquement du gaz de n'importe quelle composition. - Une fois l'exploitation d'un champ terminée, les modules peuvent être transportés entièrement ou partiellement vers un autre site de production, ce qui réduit encore davantage les coûts de developpement du nouveau champ. - Réduction de moitié du temps de développement par rapport au long et coûteux processus des technologie traditionnelles. Ainsi, les délais passent de 36-48 mois à 18-24 mois, permettant de bénéficier de la production d'une à deux années à l'avance. - Au final, les coûts de developpement initial peuvent être réduits de 20% à 50% par rapport aux technologies traditionnelles. - Cette réduction très importante des coûts permettra à Sonatrach de developper les champs marginaux dont la rentabilité est impossible à atteindre par les technologies traditionnelles. - Cette réduction significative des coûts de développement permettra aussi à Sonatrach de mettre fin à la majorité des conflits avec ses partenaires et limiter les arbitrages et les dé- sengagements récurants des investisseurs dans le secteur, devenus inquiétants ces dernières années et portant atteinte à l'image du pays. En effet, la majorité des conflits est due aux problèmes de rentabilité qui poussent les partenaires à retarder ou carrément refuser de respecter leurs engagements contractuels. Comme je l'ai déjà mentionné dans de précédentes contributions (cf Liberté du 6/10/2014, 7/10/2014 et 2/12/2015), la notion de rentabilité est perçue différemment par les partenaires et Sonatrach. Si pour cette dernière, propriété de l'Etat, il y a une approche systémique consistant à considérer les différents impôts, taxes et royalties perçus par l'Etat comme des revenus pour l'Etat propriétaire, il en est différent pour le partenaire dont l'objectif est de maximiser les profits nets après impôts qu'exigent ses actionnaires. De toute manière, aucun manager ne peut prendre le risque de s'engager dans un projet sans profit pour les actionnaires, sous prétexte de respecter un engagement contractuel signé sous d'autres conditions du marché. Le recours à la technologie modulaire mettra fin aux problèmes de rentabilité dans la majorité des cas. En conclusion, en cette période d'optimisation des ressources financières et de la nécessité d'augmenter rapidement la production, Sonatrach a tout à gagner en introduisant ces nouvelles technologies d'installations modulaires. Ces technologies ne sont pas en phase d'expérimentation, elles ont déjà fait leurs preuves ailleurs. Les économies ainsi dégagées peuvent être redirigées vers le développement d'autres champs. L'histoire a montré que toute tentative de freiner une nouvelle technologie s'est soldé par un échec et que toute société ou pays réfractaire à l'évolution technologique se retrouve relégué à la queue du peloton. À ma connaissance, la loi sur les hydrocarbures n'interdit pas la solution modulaire. Et même si une loi l'interdisait, elle doit être adaptée pour suivre le progrès. Les lois sont faites pour réguler la vie économique et sociale d'un pays. Si une loi devient un frein au progrès économique, social ou technologique, elle doit être changée. Le lobby des installations conventionnelles, représenté par les sociétés d'EPC traditionnels, fera probablement tout pour retarder l'arrivée des systèmes modulaires en tentant de leur trouver des inconvénients. La Sonatrach doit avoir le courage d'aller de l'avant comme elle avait fait le choix gagant du GNL lorsque cette technologie était à ses débuts, ou encore lors de l'adoption de la compression centrifuge haute pression au lieu de la compression alternative pour la réinjection de gaz à Hassi Messaoud et Hassi R'mel. Cette technologie de compression centrifuge haute pression venait à peine de faire son entrée dans l'industrie avant d'être généralisée à travers le monde. Pour garder ses parts de marché et pourquoi pas les élargir, le gaz algérien doit rester competitif en matière de coûts. Aujourd'hui, les nouvelles technologies modulaires offrent à Sonatrach cette opportunité. M. K. (*) Ex-responsable à Sonatrach et OMV Autriche