Le chef de l'Etat est également revenu hier sur le projet d'amnistie déclarant que “dans le cas où le peuple serait d'accord, la justice aura à appliquer sa décision”. “Je suis venu ici, désireux de parler à la famille de la magistrature et au peuple”. Le président de la république a débordé sur le sujet du jour, la réforme de la justice, pour réitérer ses convictions et ses projets. La conférence nationale sur le bilan et les perspectives de la refonte appliquée par la chancellerie lui ont donc servi de prétexte pour s'adresser aux algériens. Au menu de son discours hier, un énième plaidoyer pour l'amnistie générale, évidemment, et une série d'autres exhortations en faveur de la consolidation de l'Etat de droit et l'essor économique, à travers le parachèvement des différents chantiers engagés au début de son premier mandat en 1999. L'identité des auditeurs, en majorité des professionnels de la justice, l'a conduit inévitablement à faire la partie belle à ce secteur, qui, de son avis, est le chantier prioritaire. La satisfaction quant au déroulement du train des réformes, l'insistance sur l'indépendance des juges ainsi que des avertissements francs aux magistrats véreux et à leurs “clients”, sont les principaux chapitres de l'allocution du chef de l'Etat en direction des robes noires. De leur intégrité dépend selon lui, le salut du pays. Pour la circonstance, les juges ont abandonné leur habit réglementaire. Ils se sont confondus, dans l'enceinte du Palais des nations, aux innombrables autres invités, dont les accompagnateurs de M. Bouteflika, les chefs des deux chambre du parlement, le président du Conseil constitutionnel, le chef du gouvernement, les membres de l'exécutif, l'ensemble des membres de la commission Mohand Issaâd, dont ce dernier ainsi que des experts étrangers. Le décor habituel ainsi planté, l'invité vedette de la conférence a laissé libre cours à ses inénarrables digressions. Morceaux choisis. Amnistie générale : “Le peuple votera, la justice l'exécutera” Le président de la république a, sans conteste, laissé le meilleur pour la fin. Il ne pouvait pas clore son discours sans aborder son projet de prédilection : l'amnistie générale. Depuis qu'il a exprimé son intention d'organiser un référendum sur cette question en novembre dernier, il s'attelle à un travail de vulgarisation soutenu. Sa pédagogie a pour objectif de familiariser les algériens avec l'amnistie et les persuader de ses bienfaits. “Je sais combien les années écoulées étaient difficiles, en destruction et en tueries. Cependant, il faut se remettre à la volonté de Dieu. Je ne demande pas aux gens de prendre place dans l'Arche de Noé mais que Dieu rapproche leur cœur. Il est Miséricordieux et aime ceux qui se repentent de leurs actes”, professe le concepteur du grand pardon. À ses yeux, les réticents au projet de l'amnistie “doivent penser à demain et au sort des générations futures au lieu d'entretenir les rancœurs et d'alimenter la fitna”. “Les clés sont dans nos mains. Il faut savoir les utiliser”, lance-t-il. Le moyen de sortir définitivement de la “crise sécuritaire” tient dans“le sacrifice de chacun”. “Les uns et les autres doivent faire des concessions pour vivre ensemble et sauver le pays”, stipule le président. Sans livrer plus de détails sur les suites à donner à son projet et fixer une date pour la consultation populaire, il esquisse néanmoins sa nature. Ce sera une loi. “Dans le cas où le peuple souverain est d'accord, la justice aura à exécuter l'amnistie générale”, dévoile le chef de l'Etat. Réforme de la justice, le premier magistrat du pays rassure. Sans même les connaître, le chef de l'Etat a approuvé les recommandations de la conférence. Il les a cautionnées alors que les six ateliers de réflexion mis en place n'avaient pas encore livré leurs conclusions. En matière de timing, il faut dire que M. Bouteflika ne maîtrise plus son emploi du temps depuis l'arrivée du Guide de la révolution libyenne, Mouammar Kadhafi, dans notre pays, il y a une semaine. D'ailleurs, il a entamé son discours en présentant ses excuses à l'assemblée suite à sa défection la veille. Le président devait, en effet, procéder à l'ouverture des travaux lundi matin. Un rituel qu'il n'a pas pu accomplir en raison de la visite qu'il avait effectuée en compagnie de son invité à l'académie militaire de Cherchell. Devant les magistrats, il s'est contenté d'évoquer avec un large sourire des “raisons objectives” à son empêchement. Plus sérieux, le premier magistrat du pays abondera ensuite sur le thème de la justice et sa réforme. Sa vision d'une justice “tangible, autonome et équitable” s'accompagne d'une résolution ferme à “la moralisation de la vie publique”. Aux yeux du chef de l'Etat, les hommes de loi ont pour mission de “combattre le pourrissement, d'obtenir la confiance des justiciables et de contribuer à la paix et à la consécration des droits de l'Homme”. Dans cette perspective, des pas sont franchis, a souligné l'orateur. “Je suis rassuré par ce que je ressens quotidiennement comme changements suite aux réformes”, s'est-il félicité. Très optimiste, il salue l'existence “d'aptitudes à la réussite”. Cet idéal, M. Bouteflika le conçoit dans la satisfaction de tous les algériens, pauvres ou riches quant à la pratique de la justice. En retour, il demande au peuple de ne pas céder au défaitisme. “La réussite est tributaire de la contribution de tous et de leur enthousiasme. Nous avons assez de la négligence et de la distraction”, a tonné le chef de l'Etat. Passant en revue toutes les modifications apportées au fonctionnement de l'appareil judiciaire, il s'est prévalu de la révision d'une partie de l'arsenal législatif, notamment en matière de délits économiques. Haro sur la corruption et le népotisme L'assainissement, plus crûment, le nettoyage. Voilà un terme qui est revenu fréquemment dans le discours du président. En sériant les textes législatifs récemment introduits en vue de lutter contre le grand banditisme, le blanchiment d'argent et le trafic de stupéfiants, il a pris un engagement ferme. “Je ne ménagerai aucun effort pour assainir la société”, a assuré le premier magistrat du pays. Selon lui, autant de fléaux comme la corruption, le népotisme, le clientélisme, les privilèges et le détournement des deniers publics sont à abolir des mœurs. Il est impératif d'en découdre car ils constituent des obstacles à l'investissement national et étranger, expliquera-t-il. Révision du code de la famille : ni en contradiction avec la charia ni avec la constitution. Le thème du code de la famille est érigé en constante dans le discours présidentiel. M. Bouteflika ne rate aucune occasion pour en parler. Comme d'habitude, il s'est fait un devoir de ménager le chou et la chèvre. “Nous avons procédé à la révision de la loi de 1984 en tenant compte de sa conformité avec la charia et la constitution”, a-t-il soutenu. S'inscrivant dans la logique du changement, ce texte comme les autres constitue “un saut qualitatif qui suscite de l'intérêt extra muros”. Le chef de l'Etat en est flatté. Cependant, les appréciations de nos partenaires étrangers doivent rester au stade d'observations sans conséquences. Ouverture économique : “Il n'y a pas de pressions sur l'Algérie !” Les nombreuses critiques concernant la libéralisation du secteur des hydrocarbures et son inspiration prétendue des puissances étrangères sont restées au travers de la gorge du président de la république. “Je me dois de dire que les réformes sont dictées par nos intérêts propres et se font en pleine souveraineté. Il n'y a guère de pressions sur l'Algérie, ni de la part de l'Union européenne, ni d'une autre partie. Les réformes sont impératives. Mais elles ne sont pas dictées par le partenariat que nous entretenons avec l'Europe ou les relations privilégiées que nous avons avec les Etats-Unis”, se défend M. Bouteflika. Faisant écho “d'un choix souverain”, il n'écarte pas la possibilité de revenir sur telle ou telle réforme si elle venait à être en contradiction avec “nos valeurs et nos intérêts”. Dépendance des magistrats : les pouvoirs de l'argent et les médias en cause Comme l'Etat, ses représentants dans le corps de la magistrature doivent être souverains dans leurs décisions, et “ne se soumettre qu'à la loi et à leur conscience”, préconise M. Bouteflika. “L'indépendance ne se pratique pas uniquement à l'adresse des pouvoirs politiques législatifs et exécutifs, mais ordonne la non-obéissance à l'influence des forces de l'argent ou à la presse subjective et mercenaire qui défend l'indéfendable et retourne quelquefois l'opinion publique contre les juges”, tonne-t-il avec hargne. Manifestement, le vainqueur de l'élection du 8 avril dernier garde toujours une dent contre les journalistes. En revanche, il assure les magistrats de sa protection. “Les têtes de ceux qui manipulent la justice tomberont”, promet-il. Il en existe même au sein du corps de la magistrature… Juges au bras long : Bouteflika encourage les sanctions En tant que président du Conseil supérieur de la magistrature, le chef de l'Etat s'est réjoui des sanctions, dont des radiations décidées tout dernièrement à l'encontre d'une cinquantaine de juges. “J'ai noté avec soulagement les mesures prises contre les magistrats ayant manipulé la justice et ses mécanismes”, a-t-il avoué. Il regrette “que par le passé, les circonstances étaient telles que des juges, forts de protections occultes, faisaient ce qu'ils voulaient”. Dorénavant, outre l'intégrité, Abdelaziz Bouteflika exige de ces fonctionnaires de plus grandes qualifications. S. L.