Kouider Boutaleb, économiste, chercheur au Cread, estime, dans l'entretien qui suit, qu'on ne peut guère attendre d'un tel gouvernement un changement de cap dans les orientations et le mode de gestion caractéristique du système socioéconomique d'essence rentière qui prédomine à ce jour. Liberté : Des législatives ont été organisées et un nouvel Exécutif est en place. Qu'en attendez-vous ? Kouider Boutaleb : Il faudrait sans doute commencer, comme le veut la tradition chez nous, par souhaiter plein succès au nouveau Premier ministre, Abdelmadjid Tebboune, et à tous les membres de son gouvernement. Ceci dit, la nomination d'Abdelmadjid Tebboune comme Premier ministre a suscité bien des interrogations. Elle a été appréciée différemment par les observateurs, certains y voyant une mise à l'écart d'Abdelmalek Sellal pour des raisons qui demeurent encore non connues, alors que d'autres y voient une promotion de Tebboune qui a quelque peu montré qu'il avait de l'envergure et qu'il pouvait mettre en œuvre le "nouveau modèle de croissance économique" pour sortir de la crise et amorcer le changement de cap nécessaire à la construction d'une économie diversifiée, non dépendante des revenus des hydrocarbures. Notons aussi que les principaux changements intervenus dans le nouveau gouvernement ont concerné les départements en charge des questions économiques, à savoir les Finances, l'Energie, l'Industrie, les Travaux publics, le Commerce ou le Tourisme. Mais, il s'agit, faut-il le souligner, du troisième remaniement intervenant depuis la chute des cours pétroliers (mi-juin 2014). Cela s'explique certainement par le manque d'efficience dans tous ces secteurs. Aucun changement notable ayant engendré des résultats n'a été noté. Estimez-vous que le changement est possible avec le nouveau gouvernement ? D'après ce qu'on a pu lire et entendre, le nouveau Premier ministre, M. Tebboune, a pour ambition de travailler pour que le pays ne dépende plus des "fluctuations des prix des hydrocarbures", affirmant qu'une reconversion économique "nécessaire et urgente" sera la priorité de la nouvelle équipe gouvernementale. Ce nouveau gouvernement peut-t-il réussir là où les précédents gouvernements ont échoué ? Peut-il amorcer le changement de cap souhaitable pour gérer de façon optimale la crise et jeter les germes des transformations structurelles permettant l'éclosion d'institutions permettant un fonctionnement efficient d'une économie de marché diversifiée ? Il aurait fallu pour cela des ministres dont le profil devait être recherché, des ministres capables de bouleverser des structures et des systèmes de gestion devenu obsolètes, mais surtout des ministres capables collectivement de peser sur le changement institutionnel et les orientations politiques qui semblent figées. Des ministres au comportement exemplaire (à l'exemple des ministres et des commis de l'Etat dans les pays scandinaves que rien ne distingue dans leur comportement des simples citoyens, marchant dans les rues, empruntant les transports publics... communiquant avec les citoyens qu'ils sont sensés servir non par le discours mais par le travail et le comportement exemplaire... On peut en douter au vu des profils des ministres, notamment ceux en charge des secteurs économiques, industrie, agriculture, finances, tourisme... qui, à quelques rares exceptions, ne semblent guère répondre aux exigences de l'heure et de l'ambition affichée par le nouveau Premier ministre. Le gouvernement ne semble pas avoir de profil complet des compétences des personnes qui entrent dans la Fonction publique... Ce n'est certainement pas avec la promotion d'un certain nombre de walis (sur la base de quels critères ? on peut se le demander) que le changement peut s'opérer. Des walis habitués à une gestion routinière quasi administrative des territoires et qui n'ont guère pu ou su dynamiser le développement local par la production, l'investissement et la création d'entreprises, peuvent-ils gérer des secteurs stratégiques ? On se demande de quel bilan peuvent se prévaloir les walis nommés ministres dans des secteurs extrêmement importants où les profils doivent être triés sur le volet tant les chantiers à promouvoir demandent de la compétence, de l'expérience, de l'intégrité, de l'autorité et de la capacité managériale éprouvées. Tout cela pour dire qu'on ne peut guère attendre d'un tel gouvernement un changement de cap dans les orientations et le mode de gestion caractéristique du système socioéconomique d'essence rentière qui prédomine à ce jour. Comment pourrait-il en être autrement avec des ministres au demeurant bien rodés dans un tel système (il ont tous accomplis un long parcours de commis de l'Etat), que rien apparemment ne prédispose à bouleverser les structures et les systèmes de gestion, totalement obsolètes, dans un monde qui a profondément changé. Par conséquent, avec un tel staff, on ne peut guère espérer un changement de politique. La diversification économique tant galvaudée dans le discours officiel demeurera, en fin de compte, un vœu pieux. Entretien réalisé par : Youcef Salami