Mikail Barah est Professeur à l'université de Saint Louis à Madrid (Espagne) et chercheur spécialisé dans les questions liées au monde arabe. Il est aussi directeur de Stractegia Consulting qu'il a fondé fin 2015 et qui consacre une partie de son travail à l'évolution de la situation en Afrique du nord, au Sahel et dans la zone du Proche-Orient. Dans cet entretien express, il apporte un précieux éclairage sur les retombée de cette nouvelle «confrontation» diplomatique entre le Qatar et ses désormais anciens alliés du Golfe. Des changements annonciateurs de grands bouleversements dans cette région très instable et au cœur de lutte féroce entre les grandes puissances mondiales. Liberté : Huit pays, à leur tête l'Arabie Saoudite, viennent de rompre leurs relations diplomatiques avec le Qatar. Quelles conséquences directes sur cet émirat du Golfe, à court et à moyen terme ? Mikail Barah : Sur les huit pays qui ont annoncé la rupture de leurs relations avec le Qatar, seuls deux font vraiment la différence : l'Arabie saoudite et les Emirats arabes unis. C'est d'ailleurs plus particulièrement l'Arabie saoudite qui est le chef de file de cette mise au ban du Qatar. Dans le passé, et plus particulièrement le long de ces 22 dernières années, les relations saoudo-qataries ont connu de fréquents bas, pour des raisons variées, mais que je crois l'on peut résumer en une seule affirmation : la quête par les deux pays d'un leadership régional. Pour autant, l'Arabie saoudite faisait et continue à faire la différence. Donc, à partir de là, deux types de conséquences : sur le court terme, le Qatar fait état d'une relative faiblesse, et se voit contraint de reconnaître que ses options diplomatiques demeurent minoritaires ; sur les moyen et long termes, je ne crois pas que le Qatar va pâtir de cette situation, mais la question centrale passe par le fait de savoir si le Qatar maintiendra ses orientations diplomatiques qui ratisseront large – avec l'Iran, avec les Frères musulmans, avec les Talibans... - ou si au contraire il se rangera au diapason de la tonalité dictée par l'Arabie saoudite en particulier. Mon sentiment, c'est que même si le Qatar venait à donner officiellement l'impression d'une rétractation sur la nature de certaines de ses alliances, l'émirat n'en demeurera pas mois à rester conforme à la nature de la plupart des alliances qu'il a promues jusqu'ici ; outre que le Qatar se laissera difficilement impressionner par ses voisins, l'émir Tamim a montré depuis son accès au pouvoir sa volonté de rester conforme aux orientations générales esquissées sous le règne de son père. Le Qatar demeure en effet convaincu que ce pari restera gagnant à terme, et qu'il ne faut donc pas se couper entièrement d'acteurs qui pourraient rester utiles à l'avenir. Dans quelle mesure la visite de Donald Trump et les résultats du sommet USA-Pays musulmans ont-ils influé sur les relations avec le Qatar et poussé ces pays à provoquer son isolement ? Je pense que cette mise à l'écart du Qatar est en bonne partie temporaire, et sera surmontée à moyen terme. Mais elle est en effet le produit d'une conjoncture, marquée par les lendemains de la visite du président américain Donald Trump en Arabie saoudite. Celui-ci n'avait pas fait secret de ses doutes sur l'Iran, tout comme il avait assuré le Bahreïn de son soutien, qui plus est depuis l'Arabie saoudite ; à son retour aux Etats-Unis, il était revenu sur sa visite en Arabie saoudite, affirmant qu'elle s'était passée sous les meilleurs auspices, fait logique quand l'on voit notamment la valeur des contrats d'armement qui vont caractériser la relations américano-saoudienne sur les quelques années à venir. Ainsi, les garanties de Trump, combinées aux orientations parfois radicales promues par le très influent fils du roi d'Arabie saoudite, Mohammed Ben Salman, nous conduisent au résultat que l'on a aujourd'hui, avec un Qatar qui donne une impression de splendeur bien moindre qu'il y a quelques années encore. Mais, comme dit, cette situation reste l'expression d'une conjoncture, et il est intéressant de voir que leur déclic a clairement été incarné par la visite de Donald Trump en Arabie saoudite et ses déclarations au sujet du Moyen-Orient. Sur le plan régional, quel impact aura cette crise dans le jeu géopolitique ? Le Qatar va devoir faire preuve de discrétion, car il ne peut non plus assumer le luxe d'une confrontation avec l'Arabie saoudite surtout. Mais je ne pense pas pour autant que le Qatar va opérer un tournant à 180 degrés sur le plan diplomatique : ses relations avec les Frères musulmans et avec les Talibans vont se maintenir, ne serait-ce que par foi de ce que les lendemains de la crise pourront justifier de renouer langue avec ces acteurs. Le Qatar veut continuer à marquer la différence, et il sait que cela vaut plus en jouant le trublion régional qu'en se fondant dans le moule des injonctions saoudiennes. Mais de fait, on ne peut écarter le fait que le Qatar fasse des concessions aux vues de limiter les effets de la crise actuelle. Le problème, c'est que, au-delà des accusations de financement du « terrorisme », les pays en froid avec le Qatar tablent surtout sur une critique franche par le Qatar de l'Iran et de ses alliés régionaux, cependant que Doha a besoin d'être en bons termes avec Téhéran, notamment pour des raisons liées à la donne gazière qui les engage communément. Entretien réalisé par : Lyès Menacer