En l'espace de quelques semaines, les autorités locales d'Oran, et plus particulièrement les membres de la commission de wilaya chargée de la dénomination des rues et lieux publics, ont provoqué un tollé général. Et pour cause, deux lieux dédiés à la mémoire de deux militants de la cause nationale, à savoir Fernand Iveton et Jean-Marie Larribère, ont été débaptisés presque en catimini. La rue Fernand-Iveton, il y a quelques mois, et tout récemment la clinique Larribère, sise au Front de mer, ont ainsi été rebaptisées du nom d'autres moudjahidine, suite à une décision prise par ladite commission et sanctionnée par un PV datant du 6 avril 2015. Ce choix de rebaptiser la clinique Larribère, connue depuis l'Indépendance sous cette appellation et restée jusqu'à aujourd'hui un repère de la mémoire collective locale, faisant suite à l'épisode de la rue Fernand-Iveton, a été dénoncé par des figures de la Révolution et de la société civile. Une pétition a même été lancée sur les réseaux sociaux appelant à "rebaptiser" la clinique du nom de Jean-Marie Larribère qui en a fait don aux autorités de la ville au lendemain de l'Indépendance, et rendre hommage à l'homme et surtout "à la famille Larribère où père, filles et oncles ont pris fait et cause pour l'Indépendance de l'Algérie". Les initiateurs de la pétition tiennent à préciser que le moudjahid Fréha Benfréha, choisi pour renommer la clinique Larribère, mérite, comme tous les militants et les moudjahidine de notre indépendance, une plaque à son nom. Beaucoup se sont interrogés sur les décisions de la commission qui ont touché, comme par hasard, le symbole de deux militants anti-colonialistes, mais membre du Parti communiste algérien (PCA) de l'époque, soupçonnant une volonté non assumée d'imposer une différence entre l'engagement et le martyr "français communiste" et ceux d'Algériens. Mohamed Bengasmia, figure d'Oran et président de l'association Civic, n'est pas très loin de cette lecture, mais choisit malgré tout d'expliquer la chose par "des erreurs et l'ignorance" des personnes chargées de choisir les appellations des rues et lieux d'Oran. En effet, la dite commission est composée de représentants de l'APC, de la wilaya d'Oran, de l'ONM qui proposent les noms des moudjahidine ou chouhada et des responsables des secteurs concernés, en l'occurrence pour la clinique, du directeur de la santé. Si à l'APC, le chargé de la communication décline toute responsabilité puisque, nous dit-on, il s'agit une décision collégiale, notre interlocuteur estime que les choix des appellations des rues, des lieux ou établissements publics répondent souvent "à des considérations clientélistes et des choix de copinage". Du côté de la direction des moudjahidine, pointée du doigt, là aussi on s'explique en avançant des erreurs commises par ladite commission et par les agents de la voirie de l'APC chargés d'élaborer les fiches techniques des rues et lieux à baptiser. Dans le cas de la clinique Larribère, la fameuse fiche technique mentionne qu'il n'y a aucun nom ni plaque sur le fronton de cet établissement comme si elle n'avait jamais été baptisée. Pour notre interlocutrice, le rôle de la direction des moudjahidine se limite à vérifier que le nom choisi est bien celui d'un moudjahid ou un chahid, sans plus. Pourtant, l'on peut justement s'interroger sur cette ignorance flagrante des membres de la commission, plus précisément du représentant de la santé et de l'ONM, puisqu'il existe depuis 1995, un arrêté interministériel, ministère de la Santé et de l'Enseignement supérieur ayant décidé de baptiser la clinique au nom de Larribère, comme l'indique le document que nous avons en notre possession. Plus grave, alors que la rue oranaise garde en mémoire le repère et le nom de la famille Larribère comme liée à la clinique du Front de mer, les membres de la commission, eux, ne le sauraient pas ? Quoi qu'il en soit, aujourd'hui, tous les acteurs de cette affaire plaident l'ignorance et on annonce que l'erreur devra être rectifiée avec la pose d'une plaque au nom de Larribère pour la clinique qui lui appartenait et qui avait été plastiquée par l'OAS. D. LOUKIL