Lire est un acte merveilleux, plutôt capital. L'être humain est un animal-lecteur, un animal-liseur. Lire c'est chercher à multiplier sa vie individuelle par le nombre des livres lus. Il y a des livres que nous avons lus et qui nous donnent le sentiment de se voir métamorphoser dans d'autres vies, plus meilleures que la nôtre, plus riches que la nôtre. Ils nous poussent à rêver, à travailler, à aimer, à s'humaniser... Nous vivons comme dans une multiplicité de miroirs. Et il y en a d'autres livres qui donnent le sentiment de vivre des cauchemars, au bord d'un précipice. Le sentiment d'un suicide au ralenti. Lire est le mot le plus exigeant, le plus magique qu'on croise dans le mythe de la langue. Et la religion chez nous, en Algérie, pour ne parler que de notre pays, est régentée par : ce "lire" et par ce "quoi lire". Y a-t-il un islam francophone algérien ? Les croyants arabophones, en Algérie, religieusement parlant, mènent leur islam à leur manière, selon les valeurs véhiculées dans cette culture hébergée dans cette langue, portées dans des livres qui ont envahi notre pays depuis les années quatre-vingt. Depuis l'Indépendance, l'intellectuel était vu comme une créature désagréable. Gênant. Ingrat. Avec le président Chadli Bendjedid, dans les années quatre-vingt, le rapport intellectuel –pouvoir (intellectuel-sultan) a changé, a bougé. En faisant de Mohamed El Ghazali chef spirituel des Algériens, gardien de la foi algérienne, le président voulait se donner une image de quelqu'un de proche des intellectuels. Mais quels intellectuels ? Il s'est rallié aux symboles intellectuels du courant des Frères musulmans. Derrière Ghazali se cachait Qaradhaoui accusé aujourd'hui par l'Arabie Saoudite et ses alliés de terrorisme. Un train en cache un autre ! La lecture, le choix du livre, a suit le choix idéologique du Président. Ainsi toute une génération s'est retrouvée proie à une lecture orientée vers la culture égyptienne des Frères musulmans. Le livre en arabe, qui a envahi l'espace culturel, fut religieux par excellence. Le Salon international du livre d'Alger s'est transformé en un bazar resserrant toutes les khordas livresques orientales. Les maisons d'éditions religieuses et médiocres égyptiennes, syriennes, saoudiennes et libanaises ont pris le lecteur algérien arabophone en otage idéologique ! Les livres d'Ibn Taymiya, Sayyid Kotb, Hassan El Banna, el Mawdoudy, Mohamed Qotb, Youcef Qaradhaoui, Khaled Mohamed Khaled, El Boty, el Ghazali... ont fini par s'accaparer des espaces livresques publics et familiaux : les écoles, les lycées, les universités, les maisons de culture, les mosquées, les bibliothèques familiales... Si l'imaginaire du lecteur arabophone s'est formaté par cette production livresque médiocre et politique, le lecteur francophone, quant à lui, a gardé une petite liberté. Une marge de manœuvre et d'indépendance. En général, le livre francophone proposé dans le marché livresque algérien, religieux qu'il soit, relève de la culture tolérante. Le livre religieux en langue française est souvent proposé avec un ensemble de livres de littérature universelle. Et le lecteur francophone qui s'intéresse au livre religieux est souvent un lecteur de littérature romanesque ou philosophique ou historique. Ainsi on s'est retrouvé, dans un seul pays, avec deux islams, un islam arabophone avec en référence les livres des Frères musulmans, puis du wahhabisme et un islam francophone soutenu par des livres avec une vision modérée locale et universelle qui sauvegarde quelques traces de notre algérianité religieuse, l'islam de nos ancêtres. En écoutant un citoyen algérien de culture francophone, femme ou homme, parler de l'islam, on détecte facilement l'âme algérienne, la foi à l'algérienne dans son discours. Dans sa spiritualité. Dans son algérianité. Dans son costume. L'islam francophone algérien est tenu par une élite qui a ses racines dans la culture universelle et locale. Cet islam francophone algérien n'a pas été souillé par les idéologies de la secte des Frères musulmans ou du courant wahhabiste, ou pas assez. Cet islam francophone algérien est modéré parce qu'il est bercé par une vie livresque riche, comme la littérature universelle et algérienne d'expression française, la philosophie, la sociologie, l'histoire des religions... Des émissions télévisuelles ou radiophoniques en langue française produites et présentées par des hommes et des femmes respectés à l'image de Abdelmadjid Meziane, Saïd Chibane, Ahmed Aroua, Mustapha Chérif, Kamel Chekkat, Malika Lafer... ont soutenu et entretenu cet esprit de tolérance et d'algérianité qu'on retrouve dans cet islam francophone algérien. A. Z. [email protected]