L'idée du parti pris de l'armée est renforcée par certains actes du chef d'état-major de l'ANP, à l'exemple de cette missive de félicitations adressée à l'ancien secrétaire général du FLN, Amar Saâdani, suite à sa désignation à la tête du parti. Le chef d'état-major de l'Armée nationale populaire (ANP) Ahmed Gaïd Salah a beau insister sur la non-implication de l'institution dans le jeu politique, cela ne semble pas suffire pour convaincre la classe politique. Le rapprochement de l'élection présidentielle, prévue au printemps 2019, replace, en effet, la grande muette au cœur du débat politique, parfois même au cœur de la polémique. Il n'est quasiment pas d'interviews de responsables de parti ou de leaders d'opinion où ne se glisse pas la question de l'attitude que l'armée devrait observer par rapport au processus déjà engagé du renouvellement du bail pour le palais d'El-Mouradia. À ce propos, les positions divergent, voire sont diamétralement opposées, y compris parmi les partis qui animent l'opposition politique. C'est ainsi que le premier responsable de Jil Jadid, Soufiane Djilali, partisan invétéré de l'application de l'article 102 de la Constitution, relatif à l'empêchement du président de la République pour cause d'incapacité à assumer ses charges, appelle ouvertement à l'intervention de l'armée. "Devant l'effondrement des institutions, l'armée reste le dernier recours pour la résolution de la grave crise que traverse le pays. C'est elle qui a ramené le Président et c'est à elle de résoudre le problème qu'elle a créé", considérait-il, il n'y a pas si longtemps. Cependant, il demeure le seul leader de parti à assumer une telle position. Un point de divergence fondamental avec le reste des partis de l'opposition qui ne souhaite pas, voire encore moins faire appel aux chars pour assurer la transition démocratique. Car, même Noureddine Boukrouh, dans son appel à l'armée, n'est pas allé jusqu'à solliciter une implication de l'ANP dans l'équation politique, se contentant, lui, de l'en appeler à ne pas voler au secours du pouvoir s'il venait à être secoué par la bourrasque populaire. (...) Ces qualités et cette vocation lui (ANP, ndlr) interdisent, ainsi qu'aux services de sécurité d'utiliser leurs effectifs et leur armement contre le peuple s'il devait s'élever contre des politiques desservant l'intérêt national à l'instigation d'un pouvoir soupçonné de ne plus représenter l'intérêt de l'Etat et l'intérêt général, mais ceux d'une poignée d'individus", écrivait-il. Une position que partagent d'ailleurs, même exprimée autrement, les trois personnalités signataires d'une déclaration récente, en l'occurrence Ali-Yahia Abdenour, Rachid Benyellès et Ahmed Taleb Ibrahimi. "(...) Quant à l'Armée nationale populaire, qui demeure encore l'institution la moins dépréciée du pays, le moins qu'elle puisse faire, à défaut d'accompagner le changement qui s'impose et de participer à l'édification d'une République véritablement démocratique, c'est de se démarquer de manière convaincante du groupe qui s'est emparé indûment du pouvoir et entend le conserver en laissant croire qu'il a le soutien de cette même institution", ont-ils réclamé. Mais l'opposition franche à une implication de l'armée dans le jeu politique est exprimée par le président du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), Mohcine Belabbas, qui, dans un entretien au journal El Khabar, dans sa livraison d'hier, s'est déclaré contre "le coup d'Etat militaire". "L'armée doit s'occuper des questions sécuritaires et de l'amélioration de ses capacités et de son professionnalisme, et je vous confirme que nous serons les premiers à nous élever contre un coup d'Etat militaire. Car, à l'origine du problème, il y a le coup d'Etat militaire contre le GPRA..." Si le président du RCD se contente d'avertir contre toute intervention de l'armée dans le processus de succession à Bouteflika, le président du Mouvement de la société pour la paix (MSP), le revenant Adelmadjid Menasra, a, lui, la conviction faite que l'ANP pèsera sur l'élection présidentielle de 2019. "Oui ! C'est l'armée qui désignera le Président qui remplacera Bouteflika, et le peuple l'élira", a-t-il tranché avec certitude, il y a quelques jours, osant même le détail politiquement croustillant. Personne ne sait exactement ce qui fait la conviction de Menasra, mais elle puise certainement dans l'idée répandue dans l'opinion que l'armée participe à la décision politique. L'idée du parti pris de l'armée est d'ailleurs renforcé par certains actes du chef de l'état-major de l'ANP, à l'exemple de cette missive de félicitations envoyée à l'ancien et controversé secrétaire général du FLN, Amar Saâdani, suite à sa désignation à la tête du parti. Un geste qui n'a pas échappé aux observateurs de la scène politique qui l'ont, d'ailleurs, interprété comme un manquement à la neutralité à laquelle l'armée devrait s'astreindre par rapport à la classe politique. Sofiane Aït Iflis