Selon l'historien et anthropologue Ali Farid Belkadi, qui a découvert les crânes, le musée français conserve 68 ossements d'Algériens, dont la plupart appartiennent à des résistants et à des prisonniers de guerre. Il évoque d'autres restes mortuaires disséminés ailleurs ou disparus. L'historien et archéologue algérien Ali Farid Belkadi est celui qui a fait éclater le scandale des crânes. Il a ouvert la boîte de Pandore en 2011, lorsqu'il s'est rendu au Museum national d'histoire naturelle de Paris (MNHN), dans le cadre de ses recherches documentaires sur Victor Reboud, un médecin-major du corps expéditionnaire français qui avait pris part, au début de l'occupation française, à plusieurs batailles livrées contre la résistance algérienne, à Biskra notamment où la révolte des tribus Zâatchas avait été sauvagement réprimée. Selon l'historien, Dr Reboud, qui s'est mué en collectionneur d'ossements, avait obtenu en 1880 l'accord des responsables militaires pour transférer à Paris, dans des fûts à vin vides, les têtes décapitées des chefs de la résistance algérienne. À l'époque, ces têtes étaient considérées à la fois comme des trophées de guerre et des objets de recherche scientifique sur les populations indigènes. Elles ont été d'abord exposées au regard des foules des visiteurs, puis à partir des années 60, conservées dans des boîtes, dans les sous-sols du musée. C'est à cet endroit précisément que M. Belkadi les a trouvées. En consultant les collections anthropologiques du Muséum, il identifie des dizaines de crânes de résistants, dont les principaux chefs de la révolte des Zâatchas. Son décompte a néanmoins été remis en cause à plusieurs reprises par la direction du Museum. Contestant ce qu'il considère comme une vision réductrice du fait colonial, l'historien algérien réplique en indiquant de son côté que les responsables du musée n'ont pris en compte qu'une seule collection pour établir leurs propres statistiques. "Il y a d'autres collections au Museum de Paris qui renferment des restes mortuaires de martyrs algériens, ce sont celles qui ont été rassemblées par les anthropologistes Caffe, Fuzier, Mondot, Guyon, Flourens, Hagenmüller, Weisgerber et j'en passe", nous a-t-il fait savoir, ajoutant que les données numérisées du musée révèlent l'existence d'autres restes mortuaires appartenant à des prisonniers de guerre, morts sous la torture et décapités. Dans un inventaire établi à la demande du ministère des Moudjahidine, M. Belkadi dit avoir référencé au total 68 ossements d'Algériens, dont ceux d'un fœtus et d'une petite fille. D'après lui, des restes mortuaires algériens sont conservés dans d'autres lieux en France. Il cite en exemple les crânes des insurgés de la révolte du cheikh Ahedadh en Kabylie, déportés en Nouvelle-Calédonie, et dit avoir saisi le ministère à leur sujet mais n'a pas reçu de réponse. Déçu, M. Belkadi estime que les autorités algériennes ne revendiquent pas suffisamment la restitution des restes mortuaires des Algériens conservés par la France. En février 2016, il avait ouvertement critiqué la position d'Ahmed Ouyahia à ce sujet. L'actuel Premier ministre, qui était alors directeur de cabinet de la présidence de la République, avait suggéré de laisser les crânes des résistants en France afin de rappeler à celle-ci ses abominations coloniales. Il avait fait cette déclaration au moment où une grande mobilisation était organisée pour le rapatriement des ossements. À l'origine de cette mobilisation, une pétition qui regroupe aujourd'hui un peu moins de 30 000 signatures. En juin dernier, son auteur, l'historien Brahim Senouci, a adressé une lettre ouverte au chef de l'Etat français, Emmanuel Macron, lui demandant d'autoriser le rapatriement des crânes des chefs de la résistance des Zâatchas, afin de leur permettre "d'avoir une digne sépulture dans leur patrie". Des intellectuels et des historiens, dont Mohamed Harbi, Emmanuel Blanchard, Gilles Manceron, Benjamin Stora, Malika Rahal, Olivier La Cour Grandmaison et Alain Ruscio, ont pour leur part publié une tribune dans le journal Le Monde pour réclamer la levée du séquestre qui empêche le rapatriement des ossements en Algérie. Le groupe a cité en exemple la restitution par la France de têtes Maoris momifiées à la Nouvelle-Zélande en 2012. Ces têtes ramenées dans les bagages des explorateurs et des marins au 19e siècle étaient exposées dans les musées français qui avaient refusé, dans un premier temps, de les rendre, évoquant le principe d'inaliénabilité des collections publiques. Il a fallu que le Parlement vote une loi pour que leur transfert soit autorisé. Dans le cas des restes mortuaires algériens, la même entrave juridique est posée. À cela s'ajoute la complexité des relations entre l'Algérie et la France et leurs différences de vue concernant le règlement des contentieux mémoriels. Le ministre des Moudjahidine, Tayeb Zitouni, a affirmé, le 1er novembre, à l'occasion de la célébration du 63e anniversaire du déclenchement de la révolution, que les négociations autour du rapatriement des crânes sont au point mort. Par : Samia LokmanE-Khelil