Dans cet entretien, ce spécialiste des politiques publiques décrypte la loi de finances 2018. Il évalue son impact sur les entreprises et les ménages. Liberté : Comment analysez-vous les principales dispositions du projet de loi de finances 2018 ? Mohamed-Cherif Belmihoub : Comme dans toutes les lois de finances, deux types de dispositions sont introduites, les unes sur les ressources et les autres sur les dépenses. Pour celle de 2018, il n'y a pas, à proprement parler, de nouvelles dispositions ; pourtant, le contexte de resserrement de la contrainte sur les ressources et la structure des dépenses héritée des années d'aisance financière devraient inciter à une révision globale de l'intervention de l'Etat. Sur le plan fiscal, la nouveauté a été introduite dans le projet de loi de finances 2018 à travers la proposition d'un impôt sur la fortune qui remplacerait l'ancien impôt sur le patrimoine ; mais cette proposition était vouée à l'échec pour plusieurs raisons dont la principale est l'impossibilité dans l'état actuel d'archaïsme du système fiscal en place, d'établir son assiette et d'organiser son recouvrement sans introduire une inégalité de traitement des citoyens devant l'impôt en raison de la défaillance des systèmes d'information et des bases de calcul (définition de la fortune et de son évaluation comptable). Son retrait a été justifié par d'autres arguments. Mais le problème reste posé. Si chaque fois qu'un impôt était proposé, puis retiré pour cause de difficultés de son assiette ou de son recouvrement, l'Etat perdrait de sa crédibilité. Le plus important donc est de moderniser une fois pour toutes l'administration fiscale pour la rendre capable d'asseoir un impôt s'il est devenu nécessaire et opportun de le lever. Donc, la réforme du système fiscal et de l'administration fiscale devient une priorité et même une urgence si l'on veut qu'à l'avenir ce problème de difficulté d'asseoir un impôt ne soit pas un motif pour ne pas introduire ou modifier un impôt ou une taxe. Le problème récurrent est donc celui de la performance de l'administration des finances et de l'administration en général, que l'on soit en aisance financière ou en restriction des ressources. L'augmentation des prix à la pompe des carburants par la majoration de la TPP et de la TVA est justifiée, sa progressivité (depuis 2016) est opportune, mais l'augmentation de 6 DA (essence tous types) et 2,80 DA (gasoil) est peut-être excessive (20% d'un seul coup). Il est vrai que cette taxe TPP est très rentable. Elle rapporte beaucoup au Trésor et ne peut subir de triche, car elle est perçue à la pompe. La stabilisation du taux de pression fiscale (global) autour de 17,26% est une bonne chose pour ne pas pénaliser et la consommation et l'investissement, toute chose égale par ailleurs. Toutefois, il y a lieu de noter la forte croissance du budget d'équipement qui, en réalité, est venue rattraper la baisse importante enregistrée dans le budget de 2017 et qui a eu pour effet l'annulation, le gel ou le redimensionnement des projets d'infrastructures. Ce projet de loi de finances est-il inflationniste ? Par définition, le financement non conventionnel est inflationniste (induit une forte hausse des prix). Mais dans des conditions bien précises, on peut atténuer cet effet inflationniste, c'est lorsque ce financement est orienté sur l'investissement productif qui produirait à court et moyen terme une croissance économique significative ; c'est le cas aussi lorsqu'il est affecté au remboursement de la dette intérieure. Dans le cas de l'Algérie, le financement non conventionnel impacte essentiellement la balance commerciale et, par voie de conséquence, les réserves de change. En effet, toute augmentation de revenus, induite par ce type de financement (sans contrepartie dans l'économie réelle), se traduira par un pouvoir d'achat additionnel et ce n'est que par l'importation qu'il sera satisfait (dans le cas d'une croissance nulle ou modeste). En important, sans augmentation des exportations, la valeur du dinar qui se déprécie, est, par conséquent, un renchérissement des biens importés (biens de consommation ou entrants industriels et agricoles). Dans le cas qui nous intéresse, le financement non conventionnel cible trois objectifs : le financement du déficit budgétaire, le remboursement de la dette intérieure et la dotation du FNI. Son montant global est estimé à 1 900 milliards de dinars, mais sa répartition sur les trois destinations n'est pas précisée. Si l'essentiel va vers le remboursement de la dette et qui va rester gelé chez les bénéficiaires, l'impact inflationniste serait limité ; en revanche si le financement du déficit budgétaire prend l'essentiel, dans ce cas l'effet inflationniste serait plus important. Ces mesures constituent-elles des remèdes efficaces à la crise financière que vit le pays ? Le financement non conventionnel ne peut être qu'une solution provisoire et conjoncturelle. Il peut être efficace s'il est bien conduit et soumis à des conditions de rationalité (efficience budgétaire) et qu'il impulse la croissance. Avec cette dernière, l'assiette fiscale s'élargit et on peut revenir à un financement normal, c'est-à-dire avec des ressources ordinaires. Donc, le financement non conventionnel ne peut être utilisé que de manière provisoire et il permet de traiter une situation exceptionnelle. Le projet de loi de finances constitue-t-il le marqueur d'une remise en cause fondamentale du modèle économique de croissance élaboré sous le gouvernement Sellal ? Le modèle de croissance auquel vous faites allusion a été remis en cause dans l'un de ses fondements, le plafonnement des budgets sur la période 2017-2019 ; en 2018, il y a dépassement du seuil prévu de plus de 1 000 milliards de dinars, soit plus de 12,5%. Pour le reste, le modèle reste un modèle, c'est-à-dire une construction théorique et hypothétique ; sa mise en œuvre dépend de la volonté des pouvoirs publics, des conditions objectives de sa mise en œuvre et de sa validité dans la nouvelle conjoncture. En son temps, nous avons préféré parler de politique économique que de modèle pour rester dans le réalisme de sa faisabilité et de son adaptation aux contingences et aux capacités institutionnelles des acteurs.