La question a été posée à Mohamed Aïssa en marge de la plénière tenue ce jeudi à l'Assemblée nationale : "Les harragas commettent-ils un acte illicite en mettant en danger leur vie comme le pense le Haut conseil islamique ?" Sans se positionner frontalement contre cette fetwa, Mohamed Aïssa a soutenu que "ce n'est pas en décrétant leur acte haram et en consacrant un prêche chaque vendredi que le problème sera résolu". Le ministre a préconisé plutôt la mobilisation des fonds de la zakat pour permettre aux jeunes chômeurs de financer des projets. La fetwa décrétée en 2009 par le Haut conseil islamique n'a, en effet, nullement dissuadé les Algériens à emprunter ces embarcations de fortune pour fuir le pays. Pas un jour ne passe sans que des organisations non gouvernementales ou les autorités algériennes enregistrent des tentatives de départ ou des départs effectifs pour une traversée clandestine de la Méditerranée, en vue d'atteindre l'Espagne, l'Italie ou la Grèce. Certains harragas sont interceptés avant de quitter le pays, d'autres arrivent à atteindre leur destination. La plupart périssent en mer. Le ministre des Affaires religieuses se trompe, en revanche, de cible lorsqu'il accuse, sans les citer, certains personnalités de l'opposition d'entretenir un discours défaitiste qui ne laisse pas de place à l'espoir. "Ce n'est pas ainsi que nous convaincrons nos jeunes de rester dans le pays", a soutenu Mohamed Aïssa à l'Assemblée nationale. Dans son appréciation des causes du phénomène de l'émigration clandestine, le ministre des Affaires religieuses a éludé le discours officiel, quelquefois provocateur. Invité à s'exprimer sur la hausse du nombre de harragas, Ahmed Ouyahia a rétorqué lors d'une conférence de presse animée samedi dernier : "Ils nous font honte. Celui qui se jette à la mer, s'il ne se noie pas, sera employé, dans le meilleur des cas, comme saisonnier pour ramasser les tomates et les oranges, alors qu'en Algérie, ces emplois ne trouvent pas preneurs." C'est que, officiellement, on feint d'ignorer que le problème ne se résume pas à l'emploi, mais à un projet de vie que des millions de jeunes Algériens ne peuvent pas se donner dans leur pays où le cadre vie se dégrade à vue d'œil pour l'ensemble des catégories sociales. C'est un fait établi, la recrudescence des départs de migrants depuis les eaux territoriales s'accompagne désormais d'un phénomène nouveau. Les jeunes de moins de 35 ans ne sont pas les seuls candidats à la harga. Des femmes et des enfants affrontent cette traversée dans des conditions suicidaires. À la mi-novembre, le nombre des migrants mineurs se trouvant sur le sol espagnol s'élevait à 339. Même les bébés sont embarqués par leurs parents. Ce genre d'images, largement diffusées sur les réseaux sociaux, sont aussi l'expression d'une révolte contre un système et une société qui n'offrent pratiquement plus de perspectives d'intégration sociale et de réalisation de soi. C'est une réaction extrême contre le discours trompeur de certains hommes politiques comme Ould Abbes qui affirme que l'Algérie consacre davantage de transferts sociaux que des pays comme la Norvège ou la Suisse. Le malaise est tel que même un article de loi introduit en 2008 dans le Code de procédure pénale criminalisant l'acte d'émigration clandestine n'a pas réduit le flux des départs. Le ministre des Affaires religieuses a raison de penser que décréter une fetwa n'endiguera pas le phénomène de l'émigration clandestine. Mais mobiliser les fonds de la zakat pour financer les projets des jeunes ne suffira pas non plus, tant qu'on n'attaque pas le mal à la racine : il s'agit, en effet, d'améliorer la gouvernance, de combattre réellement la corruption, afin de donner des perspectives aux jeunes. Car, dans tous les cas, ceux qui s'en vont ont des raisons de le faire. Il faudra désormais leur donner des raisons de rester et vivre au pays. Nissa H.