L'éclosion du Printemps berbère en Avril 1980 sortira le combat amazigh de la clandestinité et posera les termes du combat pacifique sur la place publique. Nous sommes en 1966, à Paris. Alors que les opposants au régime algérien ont trouvé écho dans les milieux de la diaspora, un ancien officier de l'ALN décide, avec d'autres militants, de fonder une structure dédiée au combat amazigh. Mohand-Arab Bessaoud, puisque c'est de lui qu'il s'agit, prend attache avec certains militants, intellectuels et autres artistes pour former le premier noyau de ce qui sera l'Académie berbère d'études et de recherches culturelles. Dans le staff de l'époque, on retrouve par exemple Farid Ali, Taos Amrouche, Mohand-Saïd Hanouz, Mohand-Amokrane, Abdelkader Rahmani et Mohand-Arab Bessaoud. L'association enregistrée à la préfecture parisienne élit domicile au 6, rue de la Paix, 75002 (Paris). Elle s'est donné comme objectif la réhabilitation de tamazight, identité, langue et culture. Un travail titanesque a été abattu et dans des conditions souvent difficiles. En dépit d'un parcours pour le moins chaotique, l'Académie berbère où Agraw Imazighen aura joué un rôle central dans la conscientisation des masses populaires au fait amazigh. Les anciens se souviennent encore des pamphlets édités par l'Académie berbère et distribués sous le manteau. De jeunes militants, souvent des lycéens, se faisaient arrêter pour avoir dans leurs poches l'alphabet tifinagh. Le combat identitaire prendra une autre tournure avec l'arrivée des étudiants berbérisants au début des années 1970. Le cours de berbère de Mouloud Mammeri et le Cercle de culture berbère de Ben Aknoun animé par Saïd Sadi ont constitué un pôle d'animation politique et de production culturelle important. La radio kabyle, investie par des jeunes fréquentant ces deux espaces, diffusa des émissions de qualité. La JSK fut un symbole qui permit à la jeunesse de se retrouver chaque week-end en nombre pour exprimer son enthousiasme et à l'occasion ses colères. C'est là que Boumediene connut son premier défi public en 1975. En France, connecté avec Ben Aknoun, le Groupe d'études berbères (GEB) de Vincennes, où on retrouve Hend Sadi, Abdellah Mohya, Ramdane Achab, Saïd Boudaoud, a donné un saut qualitatif à la revendication amazighe dans l'émigration. Agraw Imazighen connaîtra en 1978 une descente aux enfers avec la perquisition de son siège, l'arrestation de certains de ses membres et l'exil de Bessaoud à Londres. L'éclosion du Printemps berbère en Avril 1980 avec les acteurs du Mouvement culturel berbère (MCB), à leur tête Saïd Sadi, sortira le combat amazigh de la clandestinité et posera les termes du combat pacifique sur la place publique. 38 ans après, des acquis ont été arrachés de haute lutte, entamée depuis la crise dite berbériste de 1949 au sein du PPA-MTLD. Bessaoud a tenté de relancer les choses, après son retour au pays, durant les années 1990. Très malade, il ne pouvait pas aller au bout de son ambition. Lors de son hospitalisation au CHU de Tizi Ouzou, il nous avait fait part de son inébranlable conviction quant à l'aboutissement, un jour prochain, du combat amazigh. Il aura vu juste. Aujourd'hui, grâce aux luttes acharnées de la militance berbère, tamazight est devenue langue nationale et officielle. Yennayer est proclamé Journée nationale chômée et payée. Une académie sera bientôt installée. Alors que les acteurs les plus crédibles du combat amazigh évoquent la capitalisation avec une certaine réserve de ces acquis, au vu du sort artisanal auquel est réduit le HCA et de la mission de folklorisation de la télévision amazighe, des thuriféraires du pouvoir se lancent dans un autre débat byzantin : le choix des caractères avec lesquels devrait s'écrire tamazight. Or, l'essentiel de la production livresque amazighe, qui remonte à Boulifa, Feraoun et Mammeri, s'est fait en caractères latins. Mieux encore, l'introduction de tamazight dans le système éducatif au terme du boycott scolaire en 1995 s'est faite dans la même graphie. À l'époque, les mêmes thuriféraires, radicalement opposés au principe même de prise en charge de la question culturelle, n'avaient même pas pensé à intervenir dans ce débat, le sujet étant, de leur point de vue, indigne de figurer au registre des préoccupations nationales. Pris de court par le développement et l'avancée de la question, ils essaient de se recycler en parasitant la scène par la question de la graphie. Ce qui, concrètement, revient à passer à la trappe presque un siècle de production littéraire et culturelle en tamazight. Yahia Arkat