Il est inconcevable et complètement exclu que ce blocage, qualifié de "sabotage économique", soit le fait du seul DG du port de Béjaïa. Après plus d'une année de blocage "arbitraire" du projet d'usine de Cevital à Béjaïa, les autorités compétentes continuent de s'emmurer dans un silence pour le moins intrigant. Hormis le DG de l'Entreprise portuaire de Béjaïa (EPB), Djelloul Achour, qui assume son rôle d'exécutant d'un acte largement dénoncé et décrié, autant dans la presse que dans la rue, aucun représentant officiel d'une institution de la République n'a osé briser le silence que se sont imposés tous les responsables concernés, même quand ils sont directement sollicités ou interpellés. Toutes les démarches entreprises auprès des hautes instances de l'Etat, telles que les trois lettres adressées au président de la République par les membres de la coordination des comités de soutien aux travailleurs de Cevital et aux investissements économiques, ou l'interpellation écrite adressée par un groupe de députés au Premier ministre actuel, sont restées lettre morte et n'ont fait l'objet d'aucune réponse. Idem pour les quatre marches citoyennes organisées dans les rues de Béjaïa, dont la dernière en date remonte au 14 mai passé, qui ont rassemblé, à chaque fois, des milliers de personnes. La formidable mobilisation citoyenne enregistrée par ces différentes actions de protestation démontre pourtant, à elle seule, la forte adhésion populaire en faveur du déblocage du projet de Cevital portant réalisation d'une usine de trituration de graines oléagineuses à Béjaïa. Une chose est sûre : il est inconcevable et complètement exclu que ce blocage, qualifié de "sabotage économique", soit le fait du seul DG du port de Béjaïa. Aucun responsable, même ministre, n'aurait agi comme l'a fait M. Djelloul Achour, s'il n'était pas missionné de plus haut et donc assuré d'impunité, voire de gratification. Il s'agit donc de savoir qui est derrière ce blocage. Une interrogation qui peut se décliner autrement : qui a intérêt à empêcher la réalisation d'un tel projet ? C'est, en tout cas, sous cette forme que les Algériens se posent la question. Pour ceux d'entre eux qui interviennent et s'expriment sur les réseaux sociaux pour commenter les articles de presse traitant de ce sujet, le malheur du groupe Cevital proviendrait d'un autre groupe privé, celui appartenant à la famille Kouninef, considérée comme "très proche" du président Abdelaziz Bouteflika. En fait, il n'est un secret pour personne que le groupe Kouninef, qui avait racheté l'unité algéroise de l'Entreprise nationale des corps gras (ENCG), spécialisée dans la fabrication des huiles ménagères (Safia), a lancé, lui aussi, un projet similaire à celui de Cevital, au niveau du port de Djendjen, dans la wilaya de Jijel. S'étalant sur une superficie de 16 hectares, le projet cher à la famille Kouninef se décline réellement en trois unités de trituration des graines oléagineuses "Nutris", d'une capacité de production de 600 tonnes par jour, dont les délais de réalisation sont estimés à 24 mois. Selon les informations fournies tout récemment par les services du cabinet du wali de Jijel, le coût de ce projet est de l'ordre de 250 millions de dollars et le taux d'avancement des travaux de réalisation de cette usine composée de trois unités est de 36%, 15% et 20%. Le premier responsable de la wilaya de Jijel, Bachir Far, a tenu à souligner, à ce titre, que "toutes les contraintes liées au raccordement aux différents réseaux dont l'eau potable, l'électricité, le gaz et le chemin de fer sont pratiquement levées", ajoutant que ses services "ne ménagent aucun effort pour accompagner le promoteur de cet investissement". Les internautes lèvent le mystère On l'aura compris : au moment où le groupe Cevital est empêché de réaliser un investissement par un simple chef d'entreprise publique (EPB), sans que nul responsable ne bronche, un autre opérateur privé profite du soutien et de l'attention déclarés des pouvoirs publics. Sa proximité avec "le clan présidentiel" qui lui permet de bénéficier d'autant de facilités est ainsi mise en évidence. Pour les Algériens, point de mystère donc. En témoignent ces quelques commentaires postés sur les réseaux sociaux, facebook ou twitter. "On devrait savoir maintenant, en haut lieu, que personne n'est dupe et que le directeur de l'entreprise portuaire de Béjaïa n'est qu'un complice des frères Kouninef, protégés du clan Bouteflika. Incapables de rivaliser avec Rebrab, ils ont recours à des méthodes déloyales pour le concurrencer, et qu'importe si c'est le pays tout entier qui en subira les conséquences. Sous d'autres cieux, ce directeur aurait été arrêté et traduit devant un tribunal pour sabotage. Si le gouvernement veut vraiment relancer l'investissement national, qu'il commence par mettre fin à ces pratiques mafieuses. A-t-on conscience que c'est un mauvais signal que nous envoyons aux investisseurs potentiels qui ciblent l'Algérie ? Qui viendrait investir chez nous tout en sachant qu'un climat malsain lui sera préjudiciable ?", écrit un internaute, qui se présente sous le surnom très piquant de "Felfel har". Pour sa part, Abderrahmane B. note, dans un commentaire posté sur facebook, que "le blocage de l'investissement économique de Cevital, avec la bénédiction des plus hautes autorités du pays, est un secret de Polichinelle. Il vise en fait à donner de l'avance au projet concurrent des frères Kouninef qui est en phase de réalisation à Jijel. Tout cet imbroglio met en exergue l'absence de l'Etat de droit, car l'artifice de mettre en avant un responsable de port pour s'opposer à cet investisseur est une aberration". De son côté, un autre facebookeur, nommé Kamel A.- M., est catégorique : "Vous avez deux parties qui bloquent ce projet de Cevital. La première est Kouninef par le biais de Saïd, et la deuxième les importateurs véreux qui voient dans ce projet la fin de leur monopole." Un jeune internaute dénommé Lamine M. s'interroge : "Depuis quand un directeur de port, a fortiori en Algérie, s'intéresse-t-il à l'écologie ?", avant d'enchaîner : "Si c'est son dada, qu'il demande à Kouninef de lui construire un parc zoologique ou une réserve, et qu'il laisse l'industrie tranquille !" On l'aura remarqué : pour l'ensemble de ces intervenants, c'est donc Kouninef qui dicte sa loi. Et, s'il le fait sans être remis à sa place, encore moins inquiété, c'est que les institutions publiques lui sont soumises. Boosté par l'amitié du frère du chef de l'Etat, Reda Kouninef aurait-il donc hérité des pouvoirs dévolus à celui-ci ? Il faut visiblement craindre qu'il en soit ainsi. L'époque où Abdelaziz Bouteflika refusait d'être un "trois-quarts de Président" semble bien loin, en effet. KAMAL OUHNIA