Accablée par les critiques pour sa gestion migratoire depuis plusieurs mois, l'Algérie semble décidée à organiser la riposte. Outre des positions désormais de plus en plus régulières exprimées par les officiels, dont la dernière en date est celle du chef de la diplomatie, Abdelkader Messahel, Alger décide de se résoudre à ce qui s'apparente à un effort de communication, qui lui fait défaut, il faut bien l'admettre, en invitant de nombreux médias nationaux et internationaux ainsi que des organismes concernés par la question migratoire, comme l'Organisation internationale pour la migration (OIM) ou encore le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) pour une mission d'information à Tamanrasset, plaque tournante et principale porte d'entrée des migrants clandestins. Partie jeudi pour un séjour d'une semaine, cette mission qui comprend également des télévisions privées, est appelée à constater non seulement les conditions dans lesquelles s'effectue le rapatriement de migrants subsahariens, mais également les conditions de leur prise en charge, histoire de battre en brèche les accusations des ONG et autres organismes internationaux. Une journée plus tôt, c'est le ministère de l'Intérieur qui organisait une conférence au centre d'accueil de Zéralda, désigné par le Haut-Commissariat des droits de l'Homme de l'ONU comme un "camp militaire", au profit des journalistes, en présence du représentant du Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) en Algérie, Hamdi Boukhari, du représentant de l'Organisation internationale de migration en Algérie (OIM), Pascal Reyntjens, ainsi que de la présidente du Croissant-Rouge algérien, Saïda Benhabiles. Cette riposte des autorités algériennes, accrochées jusque-là à un argumentaire sécuritaire pour justifier le renvoi des migrants clandestins, mais sans un effort de transparence, intervient alors que des pressions s'accentuent sur elles. Des pressions émanant des Etats, dont l'UE, mais également des ONG et de médias influents. Jeudi, c'est l'ONG, Human Rights Watch (HRW), qui est montée au créneau pour dénoncer le "traitement inhumain" auquel sont soumis, selon elle, des milliers de migrants de la part des autorités algériennes. "Depuis janvier 2018, l'Algérie a expulsé des milliers d'hommes, de femmes et d'enfants vers le Niger et le Mali dans des conditions inhumaines et, dans de nombreux cas, sans tenir compte de leur statut légal en Algérie ou de leur vulnérabilité spécifique", a indiqué HRW dans un communiqué. "L'Algérie a le pouvoir de contrôler ses frontières, mais cela ne signifie pas qu'elle peut regrouper les gens en fonction de la couleur de leur peau et les larguer dans le désert, indépendamment de leur statut juridique et en l'absence de garanties de procédure équitables", dénonce Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. "La police algérienne a passé à tabac des migrants, rejeté leurs demandes de récupérer leur argent et leurs effets et, à plusieurs reprises, ont saisi leurs téléphones et autres objets en leur possession. Des expulsions sommaires ont également séparé des familles", accuse encore l'ONG qui affirme s'appuyer sur des témoignages de migrants expulsés. "Le gouvernement algérien devrait mettre fin aux expulsions arbitraires et sommaires des migrants et développer un système de prise en charge équitable et légal des migrants en situation irrégulière. Ce système devrait inclure le droit aux migrants de faire appel de leur expulsion et faciliter le rapatriement librement consenti de ceux qui souhaitent retourner dans leur pays d'origine", préconise l'ONG. Les critiques de l'ONG interviennent au lendemain d'un long reportage publié par la très influente agence américaine, Associated Press (AP), faisant état de l'abandon par les autorités algériennes de plus de 13 000 migrants dans le désert au cours des 14 derniers mois. "Les expulsions algériennes ont repris depuis octobre 2017, alors que l'Union européenne a relancé ses pressions sur les pays d'Afrique du Nord pour qu'ils empêchent les migrants d'aller vers le nord, en Europe via la Méditerranée ou les clôtures grillagées avec l'Espagne (enclaves au Maroc)", selon AP. Le 23 mai dernier, c'était au tour de la porte-parole du Haut-Commissariat des droits de l'Homme de l'ONU de mettre son grain de sel en épinglant Alger lorsqu'elle l'avait appelé à "cesser les expulsions collectives de migrants, notamment originaires d'Afrique subsaharienne". Face à ces pressions, dans un contexte d'une crise migratoire à laquelle est confrontée également l'Europe, Alger a haussé le ton en dénonçant "une campagne malveillante". "Nous n'accepterons pas qu'on nous manque de respect en nous lançant des ultimatums (...) Les ONG nous reprochent d'abandonner des migrants en plein désert, ce n'est pas nous qui les avons abandonnés. Et si ces dernières veulent sauver des vies, elles n'ont qu'à mettre les moyens sur le terrain notamment quant aux vivres et au transport et participer avec nous à ce rapatriement. Dans ces conditions, nous nous répartirons les charges !", s'est insurgé mercredi, Hassan Kacimi, directeur d'étude au ministère de l'Intérieur, chargé du dossier de migration. Un "coup de gueule" qui fait écho à la sortie, la veille, du chef de la diplomatie algérienne, Abdelkader Messahel, qui a exclu l'ouverture, comme réclamée par l'UE, d'une zone de rétention en Algérie. "Il est exclu que l'Algérie ouvre une quelconque zone de rétention. Nous sommes déjà confrontés aux mêmes problèmes. Nous procédons à des reconductions aux fontières, mais nous le faisons selon des arrangements que nous avons avec les pays voisins", a-t-il indiqué dans un entretien à RFI. Karim Kebir