Rencontré en marge de la conférence organisée jeudi par DLA Piper (entreprise spécialisée dans les services juridiques), consacrée à l'arbitrage international comme mode de règlement des litiges internationaux, Me Lezzar Nasr-Eddine a bien voulu échanger avec nous sur nombre de questions soulevées par les intervenants qui pointent, entre autres, l'insuffisance du cadre juridique et institutionnel régissant l'arbitrage. Liberté : Lors de la conférence dédiée à l'arbitrage international, certains intervenants ont pointé l'hostilité du législateur algérien à ce mode de règlement des litiges commerciaux. Qu'est-ce qui peut justifier, selon vous, cette attitude d'opposition ? Lezzar Nasr-Eddine : Cette problématique est révolue et ne garde qu'un intérêt historique. Et ce, notamment, depuis la lois sur les sociétés d'économie mixte de 1986, la ratification et l'adhésion à la convention de Newyork de 1988, le décret législatif sur l'arbitrage commercial international de 1993, les traités bilatéraux et multilatéraux d'investissement, ratifiés par l' Algérie, le nouveau code de procédure civile de 2008, le code des marché publics de 2012. Tous ces instruments juridiques ont apporté une ouverture du champ juridico-économique algérien à l'arbitrage commercial. Cependant, il faut noter, et déplorer aussi, un recul enregistré avec le code des marchés publics de 2015 qui a subordonné le recours à l'arbitrage commercial international à l'accord du conseil des ministres (art 153 CMP 2015). D'autres intervenants, qui ont évoqué la circulaire de l'ex-Premier ministre Abdelmalek Sellal, ont soutenu l'idée selon laquelle ce texte a introduit une sorte de crispation dans le recours à l'arbitrage. Cette circulaire qui date du 5 janvier 2015 a attiré l'attention sur l'importance de l'arbitrage et a invité à la prudence lors de la rédaction des contrats internationaux et notamment des clauses arbitrales. La rédaction de certains contrats a éventuellement suscité la méfiance et l'inquiétude chez les gestionnaires mais ladite circulaire ne semble pas avoir un contenu et un but rebutant. Cependant cette circulaire est à la fois malheureuse et maladroite sous plusieurs aspects. Elle n'évoque que la cour internationale d'arbitrage, laissant entendre qu'il s'agit de la seule institution susceptible de prendre en charge les arbitrages des entreprises algériennes, oubliant et écartant le centre de conciliation, de médiation et d'arbitrage de la Chambre algérienne de commerce et d'industrie (Caci), fondé en 2003, et qui est la première expérience arbitrale institutionnelle dans notre pays. Cette circulaire établit une short-list de cinq cabinets d'avocats et invite les entreprises publiques à s'y référer pour toute mission d'arbitrage, que ce soit en tant que conseil, lors de la rédaction des contrat internationaux, ou des missions d'avocat dans des procès ou aussi de la désignation d'arbitres. Avec cette short-list, une très mauvaise image est donnée de notre pays qui n'aurait que cinq cabinets capables de prendre en charge des dossiers d'arbitrage. Il s'agit aussi d'une atteinte à l'éthique professionnelle des avocats fondée sur la libre et saine concurrence. Cette circulaire a, pratiquement et implicitement, été remise en cause par le nouveau code des marchés publics (du 16/09/2018) qui a plutôt encouragé le recours à l'institution nationale d'arbitrage en soumettant le recours à une institution internationale à l'autorisation du Conseil des ministres. Il est permis de conclure que le code 2015 a fait du recours au CCMA de la Chambre de commerce algérienne la règle et le recours à une autre institution l'exception. Mais est-ce que le centre d'arbitrage de la Caci est opérationnel ? Oui, il traite des affaires. Ce centre gagnerait, néanmoins, à être mis aux normes et aux standards internationaux. Il doit notamment publier des statistiques qui sont le signe de sa performance ; ces données doivent porter sur le nombre d'affaires qu'il traite et leur nature, sur les délais moyens dans lesquels ont été rendues les sentences arbitrales. Il doit aussi publier les membres de son organe régulateur, c'est-à-dire la structure qui gère les dossiers qui lui sont soumis. Il doit aussi organiser des actions d'information pour la vulgarisation de l'arbitrage, des sessions de formation destinées aux praticiens et spécialistes de l'arbitrage ainsi que des événements de promotion de l'arbitrage et de l'institution arbitrale. Il doit faire sa propre publicité pour faire face à la concurrence. Or, depuis sa création, ce centre, qui a certes le mérite d'exister, se trouve pratiquement absent de la scène. Tout se déroule comme s'il est effacé et veut laisser la place aux autres institutions arbitrales alors que le contexte lui est particulièrement favorable. Propos recueillis par : Ali Titouche