Liberté : Dans le dernier rapport du FMI pour la région Moyen-Orient, Afrique du Nord, Afghanistan et Pakistan, ses experts ont conclu que l'équilibre extérieur de l'Algérie est tributaire d'un baril à 80,30 dollars en 2018 et à 78,90 dollars en 2019. Selon vous, quels sont les risques pour les positions financières externes de l'Algérie si les cours du brut continuent à être au-dessous de 78 dollars le baril ? Yassine Benadda : La position extérieure reflète la situation patrimoniale d'une économie vis-à-vis des non-résidents. Elle permet de mesurer le degré d'ouverture financière et fournit des indications sur le caractère soutenable de sa dette extérieure. Elle évalue les risques résultant d'un excédent ou d'un déficit extérieur durable enregistré, et les conséquences de chocs internes ou externes sur la valeur des stocks d'avoirs et d'engagements financiers extérieurs. Pour revenir plus précisément sur le cas algérien, au vu du faible niveau d'endettement extérieur et de la prédominance quasi exclusive des acteurs publics, la position extérieure est dépendante actuellement du solde de la balance des paiements, qui elle-même est dépendante des hydrocarbures. Pour simplifier l'exercice ; au vu de la structure macroéconomique actuelle, une baisse des cours en dessous des seuils indiqués par le FMI conduit à la fois à l'érosion des réserves de change, à la baisse en nombre de mois d'importations que constituent les réserves de change, à l'augmentation de la dette extérieure et à la dégradation de la position extérieure globale nette en pourcentage par rapport au PIB. Depuis Tunis, le gouverneur de la Banque d'Algérie a dit, vendredi, que les réserves de change de l'Algérie allaient augmenter dans les années à venir, les prix du pétrole étant au-dessus de la barre des 50 dollars prévue dans le budget de l'année prochaine. Quelle lecture pouvez-vous en faire ? La position du gouverneur de la Banque d'Algérie laisse à penser à un manque d'indépendance par rapport au pouvoir politique. Assurément, ce pari est destiné à rassurer l'opinion publique, plutôt que de répondre à une réalité économique. En effet, bien que les hypothèses macroéconomiques restent relativement prudentes dans la loi de finances (prix du baril de pétrole brut à 50 dollars US) et que des cours en dessus de ce seuil auront indéniablement des conséquences positives sur le niveau de dégradation de la balance des paiements ; il n'en demeure pas moins qu'au vu de l'évolution actuelle des cours du pétrole, du niveau des importations et de la parité des taux de changes, rien ne peut laisser à penser que les réserves de change augmenteront à court ou à moyen terme. D'ailleurs, l'ensemble des projections des économistes et des institutions internationales vont vers une dégradation des réserves de change. Pour que le pari du gouverneur puisse être gagné, il faudrait à la fois augmenter le niveau des exportations (prix/et ou volume), diminuer drastiquement les importations des marchandises et des services (en introduisant de mesures d'austérité) et améliorer les transferts de capitaux et les flux financiers réalisés entre l'Algérie et le reste du monde. Pour la période 2019-2021, le projet de loi de finances 2019 prévoit un déficit continu de la balance des paiements qui devrait passer de 17,2 milliards de dollars en 2019, à 14,2 milliards de dollars en 2020, puis 14 milliards de dollars en 2021. Cette tendance à la baisse du déficit se révèle néanmoins insuffisante pour enrayer la fonte des réserves de change. Selon vous, le gouvernement ne fait-il pas assez pour endiguer l'accélération de la contraction du stock en devises ? Faute de réformes structurelles, les politiques économiques du gouvernement se sont contentées de s'ajuster aux chocs positifs ou négatifs du marché mondial des hydrocarbures. Bien que le gouvernement précédent avait mis en place quelques politiques de sauvegarde monétaire afin d'atténuer quelque peu le degré d'exposition à ces chocs sans toutefois l'éliminer. Il semblerait que depuis, cette position a été abandonnée par l'actuel Premier ministre. En effet, la trajectoire financière 2018-2020 avait initialement prévue un déficit de 21 milliards de dollars de la balance des paiements contre 48 milliards de dollars dans les projections actuelles. Pire encore, le gouvernement semble ne pas vouloir adopter de réformes qui apportent des remèdes à la situation financière du pays. Bien qu'il soit complexe de stopper fortement les importations au vu des besoins de consommation interne et des engagements vis-à-vis de nos partenaires commerciaux. Le gouvernement ne tente même pas de mettre en œuvre une politique commerciale devant assurer au pays meilleure prise en charge des difficultés au plan national (désindustrialisation, faiblesse du commerce intra-branche, trappe de la spécialisation primaire, faiblesse des chaînes logistiques, etc.) et une intégration économique et commerciale hors hydrocarbures aux plans régional et mondial. Aujourd'hui, avec la trajectoire triennale du pays, les signaux faibles d'une faillite déjà en cours sont désormais parfaitement visibles et l'Exécutif ne fait rien pour la stopper. L'Algérie serait-elle en situation d'insolvabilité si ses réserves de change venaient à s'épuiser ? Il faut se rappeler que sans le recours au financement non conventionnel l'Etat algérien serait déjà insolvable. En effet, l'épuisement des réserves obligerait l'Etat à recourir au financement extérieur notamment par le FMI et cela afin d'éviter au pays le risque de se trouver en défaut de paiement partiel ou total. Toutefois, ces financements, seront indiscutablement conditionnés par de profondes réformes structurelles afin de, notamment, limiter les dépenses de l'Etat. Cela risquerait comme dans les années 90 de soumettre l'économie et la société à de sévères ajustements pouvant annihiler les maigres résultats économiques obtenus sous la présidence actuelle. Nous serons exposés à l'accélération de l'inflation, à la dévaluation monétaire, à l'augmentation du chômage, à la baisse brutale des transferts sociaux, à la récession, à la baisse des IDE et cela dans une période d'accroissement démographique et de baisse de la production pétrolière. La conjonction de ces facteurs défavorables conduira à des répercussions politiques et des tensions sociales, et cela pourrait avoir des conséquences plus néfastes sur la stabilité du pays. Les coûts à venir de l'hésitation politique actuelle seraient incommensurables pour l'avenir du pays